Chorégraphe malien formé au CNDC d’Angers et au CNC de Montpellier, Tidiani N’Diaye n’a de cesse de promouvoir la danse du continent africain et ses acteurs. Alors qu’il présente, le 27 mai 2021, à June Events, sa dernière création WAX, le jeune artiste promeut en parallèle BAM BAM BAM, volet européen imaginé dans la cadre de la saison Africa2020 du festival BAM, qu’il a initié, en 2018, en collaboration avec Arthur Eskenazi.
Comment est né l’idée de créer un festival à Bamako de Danse ?
Tidiani N’Diaye : Je suis malien. J’ai commencé la danse en 2006. En 2009, j’ai fait la connaissance, lors d’un Workshop à Bamako, de Gilles Jobin, un chorégraphe basé à Genève. Ce fut une belle rencontre et le début d’une aventure commune. Il m’a, d’ailleurs invité, l’année d’après, à participer à l’une de ses créations. Lors de nos discussions, il m’a fait une remarque qui a résonné fortement en moi : il est très difficile pour les danseurs du Mali, mais d’Afrique en général, de vivre de leur art. De ce constat est né l’envie de mettre en place un centre de ressources multimédia et de créations artistiques, un cyber-café auto-géré par les danseurs eux-mêmes, que nous avons appelé Copier Coller. L’objectif était de permettre aux artistes d’avoir un lieu où échanger, partager leurs expériences, mais aussi promouvoir leurs spectacles. En 2011, je suis parti en Europe pour intégrer la formation du Centre National de Danse Contemporaine d’Angers, qui était alors dirigé par Emmanuelle Huynh. Il m’était venu difficile de m’occuper à distance de cette structure solidaire, mais j’ai fait en sorte de maintenir un lien, notamment à travers des ateliers que je donnais à chaque fois que je retournais dans mon pays. En 2018, j’ai eu l’envie de faire un festival. Je n’avais de budget, mais j’avais la conviction que c’était important, nécessaire d’aller jusqu’au bout de cette démarche. J’ai donc appelé un ami chorégraphe, Arthur Eskenazi, avec qui je travaille régulièrement depuis la création de ma piéce Bazin en 2017, pour qu’il m’aide à construire un projet. Lui à l’écriture, moi aux idées, nous avons petit à petit monter un dossier. Bien qu’accueillis favorablement, nous n’avons pas reçu, dans un premier temps, un financement permettant le bon fonctionnement du festival. Nous avons donc eu l’idée de passer par la plateforme ulule. Beaucoup d’amis ont répondu à l’appel, ce qui a permis à la manifestation de voir le jour, de pouvoir comme je l’avais imaginé permettre aux jeunes artistes maliens, mais aussi d’autres pays d’Afrique et d’Europe, de se faire connaître, de dévoiler leurs créations, d’être enfin visibles. Pour moi, c’était nécessaire de montrer qu’il était encore et toujours possible de créer, que le geste artistique n’était pas vain, qu’il y avait une finalité, une présentation au public, aux professionnels. Par ailleurs, il était aussi pour moi important que le festival soit pluridisciplinaire, ainsi sont programmés bien sûr de la danse, mais aussi de l’art plastique et de l’art visuel. Je dois beaucoup à ma formation au master ex.e.r.ce du Centre national chorégraphique de Montpellier, qui était à l’époque dirigé par Mathilde Monnier, cette vision dépasse les frontières d’une pratique, d’un domaine.
Faute de pouvoir organiser la deuxième édition du Festival BAM, en raison de la covid, vous avez voulu développer une autre forme de manifestation, BAM BAM BAM. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Tidiani N’Diaye : En fait, quand nous avons commencé à travailler sur la première édition du festival, la saison Africa2020 était en train de se mettre place. En tout logiquement, nous avons commencé à imaginer une manière d’en faire partie. En parallèle, je me suis rapproché du Théâtre Universitaire de Nantes, qui avait lui aussi un festival qui s’appelle également BAM. Nous avons accordé nos violons et travailler de concert. C’est ainsi qu’est né l’idée de faire un événement commun. Par ailleurs, à Marseille, je suis assisté par une boite de prod, les Bancs publics, avec qui je suis rentré en discussion pour voir ce qu’il était possible de mettre en place pour permettre à des jeunes artistes maliens et africains de présenter leur travail en France. Très vite, le Point Éphémère à Paris, que connaît bien Arthur, est aussi entré dans la danse. De cette synergie, BAM BAM BAM a pu voir le jour. Certes, ce projet spécifique a été pensé comme un « one shot », mais au vu de la manière très positive dont se déroule la manifestation, les résidences, nous commençons à imaginer une suite. L’avenir nous dira si c’est possible.
De Marseille à Nantes en passant par Paris, le Festival BAM BAM BAM s’annonce sur de beaux augures ?
Tidiani N’Diaye : Oui, on est très agréablement surpris. Malgré l’année compliquée qui vient de s’écouler en raison de la pandémie, notre projet suit son cours. Il est émaillé de belles rencontres, de beaux projets. À Marseille, un petit nombre d’artistes ont pu peaufiner leur création, grâce aux deux semaines de résidence, qu’ils ont pu faire à la friche de la Belle de Mai. Lors de ces cessions de répétitions, ils ont pu durant une semaine bénéficier de conseils en technique, en dramaturgie, notamment. Enfin, à l’issu de cette période intense, tous ont pu montrer une étape de travail à quelques professionnels. C’est notamment le cas d’Adiara Traoré, d’Alou Cissé Zol et de Daouda Keita. Pour des raisons sanitaires, nous avons dû prendre la décision d’annuler les dates à Paris. Dans les conditions actuelles, cela aura été trop compliqué et aurait fragilisé l’équilibre financier du Festival. Heureusement, et nous en sommes très contents, avec Arthur, du 6 au 11 juin, nous allons présenter au public un certain nombre de créations au TU de Nantes.
Qu’en est-il du prochain festival BAM à Bamako ?
Tidiani N’Diaye : La deuxième édition se tiendra du 26 novembre au 5 décembre 2021, avec une extension d’un workshop du 6 au 16 décembre. Nous sommes impatients de pouvoir présenter notre programmation in situ, de retrouver Bamako, de renouer avec les artistes locaux.
Vous présentez WAX au June Events de l’Atelier de Paris. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce spectacle qui tire son nom d’un tissu très usité au Mali ?
Tidiani N’Diaye : Avant cette pièce, j’ai créé en 2017, Bazin, qui faisait référence à un tissu hollandais fait pour les Africains, à base de coton, teinté artisanalement pour devenir un tissu damassé caractérisé par sa raideur et une éclatante brillance. Très prisé au Mali et en Afrique de l’Ouest, il sert à fabriquer différentes pièces de vêtement. Sa grande particularité, c’est de devenir blanc quand il est exposé au soleil, du coup les femmes africaines ont trouvé des techniques spécifiques pour leur redonner éclats et couleurs. C’est après m’être promené dans Montpellier, habillé d’un boubou en bazin que ma tante m’avait offert, et avoir suscité l’intérêt de nombreux passants que j’ai eu l’idée de faire un spectacle autour de ce tissu en duo avec Arthur, que je venais de rencontrer. Très vite, j’ai eu l’envie de poursuivre ce travail, mais cette fois de consacrer une pièce au wax, un autre tissu hollandais que les Africains se sont appropriés, ont remanié à leur goût, ont adapté à leurs us et coutumes. L’Objectif était par ce spectacle de réaffirmer mon « africanité ». Bien sûr on peut voir derrière mon intention, une manière d’aborder la colonisation puis la décolonisation, mais c’est avant tout un geste autour de la culture africaine. Le wax, en lui-même, est bien évidement politique, mais au-delà de son origine, il appartient maintenant complétement aux africains. Il fait partie de leur quotidien. La plupart des motifs imprimés sont typiquement liés à notre histoire, à nos arts. Ce qui était aussi important pour moi, c’est à travers cette création de faire le lien entre Europe et Afrique. Le wax représente de manière très frappante ce pont entre nos deux civilisations.
Comment avez-vous imaginé ce nouveau duo ?
Tidiani N’Diaye : J’ai voulu qu’il existe entre les deux danseurs, une ligne qui représente la mer qui sépare l’Europe de l’Afrique. Par ailleurs, j’ai imaginé une scénographie qui représente un studio photographique où le spectateur est à la place du photographe. C’est à lui de décider ce qu’il veut voir, ce qu’il veut regarder. Les danseurs habillés du même motif que le décor, ils sont comme absorbés par ce motif répété à l’envie. Seuls les gestes finalement cisèlent l’air, impactent le regard. M’inspirant du Butoh, de mouvements guerriers, le lutte, mais aussi de gestes de douceur, j’ai construit une écriture qui se délie dans un espace réduit, confiné.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
BAM BAM BAM
Festival organisé par Tidiani N’Diaye et Arthur Eskhenazi
TU de Nantes
Avec Alou Cissé Zol – Adiara Traoré – Rachelle Agbossou – Keisha Essiane – Tidiani N’Diaye – Eddy Eketé – Agathe Djokam
WAX de Tidiani N’Diaye
June Events
Atelier de Paris
Théâtre de l’Aquarium
Chorégraphie : Tidiani N’Diaye
avec Louis-Clément da Costa, Tidiani N’Diaye
Scénographie de Pauline Brun et Silvia Romanelli
Lumières et direction technique de Brice Helbert
Création sonore de Pierre Rativeau
Costumes de Jean Kassim Dembélé, Valentine Solé, Jérôme Schmitt
Dramaturgie et regard extérieur d’Arthur Eskenazi
Crédit photos © Pierre Planchenault et © DR BAM BAM BAM