Gueule d’ange, émotions à fleurs à de peau, Mickaël Délis est un artiste hyperactif, hypersensible. Auteur, comédien et metteur en scène, il puise dans le quotidien, dans son rapport aux autres, dans son observation lucide du monde pour nourrir son processus créatif. Préparant activement la réouverture des lieux de culture, le trentenaire répète actuellement Douglas et Bousier qui devrait se jouer aux abords de Nantes à la rentrée prochaine. Alors que la création de son seul en scène Le premier sexe, à La Reine Blanche, est repoussé en juin 2022, il travaille actuellement à l’écriture de la suite de Jambon Médaille, ou le Monde de Près , qui verra le jour en septembre prochain aux Récollets. Rencontre avec un jeune homme à l’avenir radieux.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
On ne badine pas avec l’amour au théâtre du Ranelagh, mis en scène par Ladislas Chollat. Je me souviens ce décor tournant, la valse des acteurs, leur énergie folle. J’étais encore étudiant en littérature à Paris IV, je ne savais même pas que comédien était un métier envisageable. Et je me rappelle mon père, venu à Paris visiter son sorbonnard de fils.
Il n’allait jamais au théâtre. Il s’était plié au désir de sa compagne de l’époque. Mais face à ce dispositif et au plaisir palpable des acteurs, il y avait dans ses yeux le même désir que dans les miens : celui d’aller s’amuser avec eux tout de suite.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Le plaisir justement.
Et plus précisément celui pris sur scène au théâtre du Rond-Point à l’issue d’un concours pour lequel j’avais été lauréat. J’avais 21 ans. J’étais en première année de conservatoire au XXe arrondissement. Je jouais un texte que j’avais écrit et mis en scène pour deux copains et moi-même.
Je lance la première phrase. La salle Renaud Barrault éclate de rire.
Cette seconde a la taille d’une vague immense.
Je sais que je veux revivre ça, beaucoup, tout le temps.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien – metteur en scène ?
Des mauvaises raisons au départ. Une blessure d’égo d’ancien gros. Une petite annonce avec des languettes à découper sur une cabine téléphonique face à Paris IV – moyen âge – avec écrit dessus « devenez une star, faites votre book pour 400 euros« .
Et puis des rencontres qui confrontent et musclent les élans. Un professeur de lettre fou de liberté et acteur génial. Un prof de théâtre exigeant qui remet toujours en question. Et la découverte plus tard que le théâtre est l’endroit qui offre de réunir tout ce que m’émeut. La littérature, l’écriture, le corps, le rythme, l’image et l’altérité.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Je ne parlerai pas de Ben-Hur au Stade de France (Enfin si, juste pour les saluts… 120 000 paumes qui battent à l’unisson, y’a un truc physique. Même si tu cautionnes rien du spectacle, quand ça se produit, quelque chose te dépasse et te submerge et tu pleures sans le vouloir.)
Mais la vraie claque, c’était Henry V, de Pipo Delbono, après 3 semaines de stage avec Pepe Robledo, comédien de Pipo et ancien danseur de Pina. 3 dates. On faisait partie du chœur avec des copains. Pas grand-chose en termes de partition. Mais les tableaux qu’on contribuait à produire étaient magnifiques. Comme tout le reste du spectacle.
Le soin que Pepe nous avait appris à porter au moindre pas, au moindre mouvement de bras, était une leçon qui continue d’irriguer mon travail.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
J’en oublie. Mais en vrac :
Silenzio de Pipo Delbono : des larmes en torrent.
L’après-midi d’un foehn de Phia Ménard : le choc esthétique.
La loi des prodiges par François de Brauer : le génie du jeu.
Jean-Quentin Chatelain dans Ode Martime par Régy : idem.
Michel Bouquet et sa femme, Juliette Carré, dans le Roi se meurt : un certain idéal du couple.
Falaise par Baro d’Evel : la splendeur à l’état pur.
Les acteurs et les images de Pommerat. Ça Ira. Contes et légendes. Stupéfiants.
Le Nouveau Roman d’Honoré. Ses Idoles. Marlène Saldana – chez Christophe Honoré et partout ailleurs.
Les rêves dansants de Pina Bausch.
Un peu de tendresse bordel de Merde par Dave St Pierre.
L’appartement de Peeping Tom.
Et La Symphonie du hanneton de James Thierré.
Je me souviens des larmes qui n’arrêtaient pas de couler. Cette dame qui me voit incapable d’avancer devant l’entrée du métro Franklin.D. Roosevelt et qui me dit, les yeux rouges, « moi aussi ».
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Mon équipe. Des comédien.ne.s rencontré.e.s en audition, en jeu, en soirée. Et qui forment ma troupe à ce jour. Ils sont des ami.e.s d’exception en plus que des muses indispensables.
Mon binôme, Vladimir Perrin. Qui me confronte, m’énerve, me stimule, enrichit mon écriture et mes images en apportant son univers au mien et dirige la compagnie Passages avec moi.
Mes professeurs. En lettres. En danse. En théâtre. Qui, par la joie et l’exigence transmis en tant qu’élève, m’ont donné envie de transmettre à mon tour pour rendre grâce de cet héritage.
Et les monstres de talent pour finir, tous rencontrés au travers de stages. Régine Chopinot et sa folle sagesse. Jean François Sivadier et son humilité. Gwenaël Morin, sa joie à fabriquer et son plaisir de gosse contagieux. Jouer sous sa coupe en plein confinement fut une pure bénédiction.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
J’ai le luxe d’avoir choisi un travail qui me passionne et d’en vivre depuis plus de 15 ans. Quand je ne l’exerce pas, je suis en proie à une profonde mélancolie. Tout simplement.
Il ne s’agit pas tant de savoir si je suis dispensable/indispensable, mais bien plutôt de ne plus savoir pour qui ou pourquoi je fabrique.
Produire sans échéance, sans rencontre avec le public, c’est comme se gaver de romans d’amour sans jamais avoir l’occasion d’aimer en vrai.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Tout. Je suis un boulimique. Je suis tous les soirs au théâtre ou au cinéma quand on a le droit de s’y rendre, je lis énormément, je parcours les galeries quand les musées sont fermés, j’écoute beaucoup de musique, je me gave de podcast, mais aussi de bouffe, de vin, de monde, d’amis, d’amours.
Tous les sens doivent être nourris, stimulés, pour mieux emmagasiner, digérer et produire ensuite.
Le facteur commun à tous ces appétits étant la jouissance qu’ils m’apportent, et que je recherche de façon assez obsessionnelle.
Pour mieux la partager enfin.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Viscéral. Urgent. Jubilatoire.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Ça se ballade, mais ça grouille toujours très fort. C’est parfois tout au fond du ventre, tout près de la colonne, parfois juste au-dessus du périnée, parfois dans mon sexe, parfois dans mes poumons quand ils suffoquent ou se dilatent, c’est dans mon cœur bien entendu, toujours enclin à déglinguer la cage, et dans la tête aussi. Mais pas tant pour le merdier de la réflexion que pour ce que les yeux impriment, les oreilles recueillent et la bouche aspire.
Et puis sur le dessus de la peau.
La chair de poule que ce désir procure. Et les caresses qu’il y dessine.
Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
La liste est looooongue. Tous ceux énoncés plus haut.
J’ai auditionné récemment pour Pierre Guillois qui me fait beaucoup rire. J’aime l’énergie et le cerveau de Thomas Jolly. Je suis un fanatique absolu du travail de Phia Ménard. Mon amie Rébecca Chaillon.
Régine Chopinot, Gwenaël Morin, bien entendu.
Joël Pommerat enfin.
(Et puis avec beaucoup, beaucoup d’actrices et d’acteurs. Croiser Dominique Blanc, Denis Podalydès, Vimala Pons, Valérie Dréville…. Même de loin.)
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Ça ira 2. 3. Ou 4.
Et puis une pièce qui réunisse tous les comédiens et toutes les comédiennes, mais vraiment tous et toutes, que j’ai eu le plaisir de croiser et avec qui on s’est promis de travailler.
Former un chœur géant. Jouer un Shakespeare à deux cents. Danser à tout autant.
Le silence serait plus puissant que jamais et les corps démultipliés notre unique scénographie.
Oh bordel. Ce serait magnifique !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
L’homme qui marche de Giacometti.
Mais en réalité, ce serait plutôt un musée…
Du coup il y aurait aussi, juste à côté ou en fond :
Un cheval de Picasso,
Un des paysages de Turner, de Whislter, de Sorolla et Frierdrich.
Casta Diva dans la bouche de la Callas.
La vague de Camille Claudel.
Un dessin érotique de Rodin ou Schiele. Ou la Danaïde du premier.
Et si j’avais le droit, à la fin de la fin, quand tout pendra, que tout sera blanc, flasque et branlant, j’aimerais être la Recherche du Temps perdu.
Caché derrière un monochrome de Soulages.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le premier sexe [Étape#1] de Mickaël Délis
La loge
Rue de Charonne
75011 Paris
Crédit photos © DR