Mathieu Touzé © Christophe Raynaud de Lage

Mathieu Touzé, entre ombres et lumières

Dès le 19 mai, le théâtre 14 rouvre avec Un Garçon d'Italie, une adaptation du roman de Besson, signé Mathieu Touzé, codirecteur du lieu.

Codirecteur du théâtre 14 avec Édouard Chapot, Mathieu Touzé, ancien avocat, est avant tout comédien et metteur en scène. Après des mois de fermeture, il prépare la réouverture de son lieu avec l’adaptation du roman de Philippe Besson, Un Garçon d’Italie, qui d’Avignon à Paris, tourne depuis 3 ans maintenant. Aux côtés de son complice Yuming Hey, il prend plaisir à fouler les planches. Rencontre avec un jeune homme qui a l’art vivant dans le sang.

Un garçon d'Italie de Philippe Besson. Mise en scène de Mathieu Touzé. © Christophe Raynaud de Lage

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Mon premier souvenir est, après reconstitution, un spectacle aussi fou que terrifiant sur l’Histoire de France de la compagnie Royal de Luxe. Le décor était un grand livre dont les acteurs faisaient tourner les pages. Des années après je me demande comment ce décor fonctionnait. Je me souviens d’images fortes (comme souvent), de Louis XIV perdu sur le plateau et surtout d’un homme écartelé entre deux pages laissant apparaître ses boyaux… 
Nous n’allions jamais au théâtre avec mes parents, je crois que ça ne leur serait jamais venu à l’idée. Mais la troupe était venue tout près de là où nous habitions, et je crois que ma mère voulait nous ouvrir à tout ce qui était possible, mais ne savait pas trop comment faire. Merci à eux.
Sinon ma culture théâtrale commence avec les cassettes VHS d’Au Théâtre ce soir que je regardais chez mes grands-parents. En particulier, Madame Sans-Gêne avec Jacqueline Maillan que je connais à peu près par cœur.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Aucune idée. Une espèce de nécessité sûrement. « Embrasser une carrière » est une expression qui ne fait pas partie de mon vocabulaire. Dans le monde dans lequel j’ai grandi, on ne formule jamais les choses comme cela. La seule notion de choix est très encadrée. On survit. Et on essaie de le faire au mieux. On essaie d’être dans la meilleure classe et d’avoir des notes suffisantes pour agrandir le prisme des choix, point. On va là où on veut bien de nous, sans viser trop haut, parce que le haut n’est pas pour nous. On cherche une filière où il y aura du travail, où on ne manquera pas. Alors bien entendu, «les arts vivants » n’existent pas et sa conception comme métier non plus.
Quand je regarde mon parcours, j’ai plutôt tout fait pour passer à côté. Mais à chaque fois, j’y reviens. Il n’y a pas eu de déclencheur, juste une lente transition, une affirmation de soi petit à petit, beaucoup de bricolages, beaucoup de travail, de sacrifices aussi, des milliers de vies vécues en parallèle. J’ai beaucoup de vies parallèles. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que je me sens à ma place, que ma vie est utile. Je n’avais pas cette sensation avant (même quand je plaidais des dossiers à plusieurs millions d’euros en tant qu’avocat).

Le Lac de Pascal Rambert. Mise en scène Mathieu Touzé. © Stéphane Pitti

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ?
Tous les chemins sont différents. Comédien, c’est l’envie. Un atelier commencé par hasard et un vide immense quand cela s’arrête. Une affirmation petit à petit là aussi, comme plonger de plus en plus profondément dans un monde que de moins en moins de gens fréquentent à mesure qu’il devient aride. Chaque plongée fait monter plus intensément l’adrénaline, la drogue. Et comme toute drogue la consommation est exponentielle. Puis la passion, le goût s’affirment aussi, comme toutes les passions. Mieux on connaît l’objet, plus on précise son plaisir, et plus il est grand. On sait ce qui nous plaît et le reste nous ennuie. Comme le sexe.
Pour la mise en scène, c’est totalement inconscient et ultra simple. Il n’y a aucune question et presque aucune difficulté. Juste de l’instinct et une confiance absolue dans le plateau.
Si vous êtes à l’écoute du plateau, il vous révèle tout de suite si ce que vous faites est juste ou faux. Et puis il y a la joie de voir les comédien.nes donner le meilleur d’eux-mêmes. J’aime dans le théâtre quand les acteurs et les actrices touchent la grâce. Je pourrais regarder des scènes où la grâce arrive des milliers de fois. Mon sentiment de frustration quand les acteur.ices passent à côté est terrible, irrationnel. Alors je cherche à provoquer cela. Et avec mon comparse Yuming Hey, j’ai la chance d’avoir trouvé un chercheur aussi passionné que moi.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le hallebardier en fond de scène avec une phrase. J’ai tout découvert là. C’était génial. La scène, le trac, l’odeur des projecteurs, la transformation de l’espace du fait de notre seule présence et tension. Aussi, le fait que je ne voulais plus faire partie de l’équipe B.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Il y en a beaucoup comme un cahier où j’aurais collé des articles de journaux sur le jeu d’acteur. Ces coups de cœur marquent mon parcours, c’est ma formation. Je retiens surtout des moments très brefs : la découverte d’Audrey Bonnet dans Clôture de l’amour d’abord (que je regarde régulièrement), sa dernière réplique de Sœurs lors de la première au Bouffes du Nord (elle fusionnait avec l’espace), ses ruptures dans Répétitions de Pascal Rambert (ses ruptures en général). Elsa Lepoivre (à peu près tout le temps) mais surtout lorsque qu’elle crie « À genoux » à Christophe Montenez, sa robe de soirée noire volant dans le Mistral où elle semble immense dans la Cour d’Honneur un soir terrifiant de 14 juillet. Jeanne Balibar qui descend sur les fesses un escalier dans une robe en fleur dans La Dame aux caméliasIsabelle Huppert qui lutte contre son texte et contre une mise en scène de Bob Wilson avec une force et une volonté qui soulèveraient des montagnes. Un nuage de cendre dans Tristesse animal noir de Stanislas Nordey (et toute la mise en scène). Laurent Sauvage, tout le temps. Dominique Blanc qui soulève une salle immense dans la fin magistrale de La Douleur ou qui me rappelle l’amour du Théâtre en reprenant la chorégraphie de Pina Bausch. Marie-Sophie Ferdane qui chuchote en ouverture de La Dame aux camélias alors que toute la salle hurle « plus fort », la performance de Laurent Poitrenaux dans Le Colonel des Zouaves, Yuming Hey dans une lecture pas assez préparée où il a dilaté l’espace en une seconde, une réplique d’Hermione dans la nuit d’un conservatoire, etc.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Yuming Hey. Dès qu’il monte sur un plateau, je sais que tout va bien. Je sais que tout est possible, que je n’ai pas besoin de filtre, qu’il va finir par faire ce que j’ai en tête même si je n’arrive pas à l’exprimer. Je sais qu’il ne me reprochera rien, il sait où on va. Avec lui, je peux aller au bout de mes envies de création. Il est indispensable. 

lle pas princesse, Lui pas héros de Magali Mougel
Théâtre 14
Mise en scène de Johanny Bert
© OFGDA

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Mon métier est la pire chose pour mon équilibre ! La passion a pris un sens positif, mais quand on creuse, ce n’est pas un mot qui représente l’équilibre  ?.

Qu’est-ce qui vous inspire ?
À peu près tout, je pense, positivement ou négativement. L’actualité, bien sûr, que je prends sûrement trop à cœur. La mode, beaucoup, qui est un secteur qui peut tout avaler sans aucun remords, ni aucun a priori. Les chanteuses Pop énormément, elles ont tout compris, tout pillé, tout surmonté, elles connaissent tout et ont une puissance de travail surdimensionnée. Tous les comédiens devraient regarder les chanteuses Pop.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Assez spirituel, je pense avec le temps. Je trouve de plus en plus de ressource dans une forme de religiosité au plateau. Il y a quelque chose à trouver dans le climat, dans l’ambiance, et la religion a tout compris à cela. Après tout, on cherche à produire du miracle.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Dans tout ce qui se dresse face au monde.

Une Absence de silence d'après Que font les rennes après Noël ? d’Olivia Rosenthal
Mise en scène : Mathieu Touzé
© Christophe Raynaud de Lage

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
En tant qu’acteur, j’aimerais me frotter à des univers forts. En ce moment, j’ai envie de découvrir le cinéma, je « stalke » beaucoup Christophe Honoré, j’invite Gaspard Noé à tous mes spectacles. Mais j’aimerais traverser les spectacles des grands directeurs d’acteurs Stanislas Nordey, Michel Fau, Ivo van Hove, Krystian Lupa, Thomas Ostermeier. J’ai beaucoup de peine d’avoir raté Claude Régy. Je n’ai aucun a priori sur la forme ou l’esthétique, j’aime tout. Il faut juste que ce soit exigeant, sinon je m’ennuie. 
J’irai aussi sur tous les projets qui me feront donner la réplique à de grands comédien.nes, c’est toujours un enrichissement de dingue comme si leur lumière venait en moi. Partager le plateau avec Audrey Bonnet et Marina Hands m’a fait comprendre cela.
En ce moment, j’ai prévu de me jeter sous les roues d’Isabelle Huppert pour qu’elle accepte de faire une participation dans un spectacle. Je veux travailler avec tous.tes les grands acteurs et actrices, celle.ux qui touchent la grâce. Je veux leur grâce, leur talent et les emmener plus loin. Je vais retrouver Yuming et Maud Wyler la semaine prochaine pour la reprise d’Un Garçon d’Italie et je vais prendre un bain de grâce et de beauté tellement ils sont forts. Et puis je vais faire encore 12.000 spectacles avec Yuming (d’ici la fin de l’année ^^).

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Tous, surtout s’ils sont improbables, nouveaux, différents et énormes. Je crois qu’en tant acteur, je ne veux plus qu’être une matière pour des projets qui cherchent à inventer de nouvelles règles, de nouvelles formes, je n’arrive à rien faire de normal (pourtant, j’ai essayé). Mes premiers projets de metteurs en scène ont commencé comme ça pour me créer des propositions que je voulais explorer et qu’on ne proposait pas.
J’aimerais faire des choses pop, travailler sur les concerts de Mylène Farmer, mettre en scène l’ouverture des J.O., coacher Lara Fabien sur ses interprétations scéniques, mettre en scène des comédies-musicales, des opéras, etc. J’aimerais jouer avec des gros jouets. J’adore les formes populaires, et c’est ce que j’ai l’impression de faire même si à la fin, ça n’y ressemble pas vraiment… 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Que font les rennes après Noël ? d’Olivia Ronsethal, que je viens de créer à la Ménagerie de Verre.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Une Absence de silence d’après Que font les rennes après Noël ? d’Olivia Rosenthal
Mise en scène : Mathieu Touzé assisté de Mafalda Chaintreuil
Avec : Yuming Hey, Laura Desideri, Jeanne Alechinsky, Yacouba Sissoko, Yanou Ninja, Zion Garçon

Création en mars 2021 à la Ménagerie de verre.

Un garçon d’Italie de Philippe Besson
Mise en scène et adaptation Mathieu Touzé
Avec Maud Wyler, Yuming Hey et Mathieu Touzé

Du 19 au 30 mai 2021 au théâtre 14

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage, © Stéphane Pitti et © OFGDA

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