Après avoir frôlé la mort l’an passé, l’icône anglaise des sixties revient à la vie avec un album qui se nourrit au doux nectar des poètes romantiques britanniques du XIXe siècle. Sur les ambiances sonores imaginées par le multi-instrumentaliste Warren Ellis, Marianne Faithfull lit de sa voix si singulière, si envoûtante, les mots de Keats, de Byron ou de Shelley. Un petit bijou acoustique.
Carré court blond, encadrant son visage, sourire énigmatique accroché à ses lèvres peintes d’un rose soutenu, Marianne Faithfull semble enfin sereine comme libérée de ses problèmes de santé qu’elle traîne depuis plus de quinze ans. Après avoir attrapé une forme grave de la Covid, l’an passé, qui a failli la mener de vie à trépas, la chanteuse et actrice britannique se prend à rêver, à aller sur de nouveau rivage. Délaissant le chant, elle a choisi de dire de sa voix grave, émouvante, onze poèmes empruntés aux plus belles plumes du courant romantique anglais. De Lord Byron à John Keats, en passant par Thomas Hood ou Percy Bysshe Shelley, elle revisite ces textes qui l’accompagne depuis l’adolescence.
Une balade intemporelle tant attendue
Retournant à ses premières amours, celles de sa jeunesse, de ces années de pensionnat au couvent saint Joseph, situé à Reading, ville du Berkshire dans la vallée de la Tamise, à l’ouest de la capitale anglaise, l’égérie des Rolling Stones se plonge avec délice dans la littérature anglo-saxone, que son père enseignait au collège de Bedford à Londres. S’emparant des mots de ses auteurs favoris, elle prend plaisir à les dire, à les incarner, à leur insuffler une vie à son image faite de rocailles et de tabac. À 74 ans, le corps changé par le temps, la voix sculptée par les excès, Marianne Faithfull n’a que faire de son apparence, seule son aura, la bonté qui l’habite compte. Tout comme le premier extrait de l’album qu’elle cosigne avec Warren Ellis des Bad Seeds, She walks in beauty, porté par la poésie de Byron.
Le parlé, un chant de l’intérieur
Initié juste avant la pandémie et à peine quelques semaines avant que la chanteuse ait failli succomber à la covid, l’album She walks in beauty investit le « spoken word », un champ sonore qui invite à plonger au cœur d’une émotion pure, d’une délicatesse teintée de sagesse, de mélancolie. Enfermée dans son nouvel appartement londonien, Marianne Faithfull lit, dans un studio aménagé à cet effet dans la chambre d’ami, pas plus de deux poèmes par jour. Tout est très spontané, juste sa voix, sa sensibilité du moment. Ensuite, récupérant les enregistrements, Warren Ellis se laisse emporter par la voix chaude de la rockeuse, l’habille d’une musique aérienne.
Une renaissance au-delà du réel
Se conjuguant à merveille, la voix de l’une et les notes électro-acoustiques de l’autre font de cet album intense, rare, une bulle de beauté dans un monde morose. S’abreuvant aux mots qui ont bercé son enfance, accompagné son adolescence, Marianne Faithfull, tel un phénix, semble renaître de ses cendres, transcender le crépuscule de sa vie en une aube sereine et poétique. Si une ambiance de clair-obscur plane sur l’ensemble, elle n’est jamais pesante. Comme si la sensation de mort, abordée par Keats dans Ode to Nightingale et vécue par la chanteuse, était un passage, une étape vers un ailleurs plus léger, plus vaporeux.
Avec She walks in beauty, la Grande Marianne entre en état de grâce et envoûte de sa voix enchanteresse nos sens. Une réussite poétique de toute beauté.
Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
She Walks In Beauty» de Marianne Faithfull avec Warren Ellis
Label BMG
Crédit photos © Rosie Matheson et © DR