Pour la réouverture du TNN, après sept mois de fermeture et quelques semaines d’occupation, Muriel Mayette-Hotz présente une expérience théâtrale qui lui tient à cœur depuis longtemps, l’adaptation scénique des Aventures de Zelinda et Lindoro du dramaturge vénitien Goldoni. Avant d’investir le grand plateau de la Scala-Paris, en septembre Prochain, la directrice a offert la primeur de ce marathon théâtral euphorisant aux Niçois.
Un léger voile brumeux nimbe le ciel niçois en ce dernier week-end de mai. Sur le parvis du TNN, des dizaines de spectateurs attendent que les portes du théâtre ouvrent. La légère brise, fort bienvenue, est de bon augure pour cette réouverture tant attendue. Salle Pierre Brasseur, une partie du public est déjà installée, chacun à bonne distance de l’autre pour respecter le protocole en vigueur. Le temps est à la fête mais aussi à la nostalgie. Dans quelques mois, l’imposant bâtiment construit par Yves Bayard et inauguré en 1989, devrait être rasé pour permettre la continuité de la coulée verte, artère verte qui traverse la ville de part en part. Malgré, quelques polémiques, rien ne devrait empêcher la destruction du lieu et l’installation du CDN dans l’ancienne chapelle des Franciscains au cœur du Vieux-Nice.
Les belles et contrariées amours de Zelinda et Lindoro
Laissons-là ces considérations politiciennes et stratégiques. Dans les couloirs cossus de la maison de Don Roberto (épatant Charlie Dupont), riche et généreux, praticien, la pétillante Zélinda (explosive Joséphine de Meaux), orpheline de bonne naissance, mais réduite par la nécessité à être femme de chambre, et l’empressé Lindoro (nerveux et énergique Félicien Juttner), fils de bonne famille, qui, pour se rapprocher de sa belle, a accepté un travail de secrétaire, s’aiment en secret. De peur d’être découverts par le reste de la maisonnée, les deux jeunes gens ont recours à divers stratagèmes et feignent animosité et antipathie.
Une trop charmante enfant
La pétulante et sage soubrette ne laisse personne indifférent, son maître l’aime comme sa fille, l’unique héritier, le charmant Flaminio (ténébreux Augustin Bouchacourt), en est tout aussi entiché et l’intendant des lieux, le zélé Fabrizio (détonnant Jonathan Gensburger) se verrait bien lui aussi dans ses bras. Seule, la maîtresse de maison, véritable mégère et deuxième épouse du maître, l’accorte Éléonora (Tania Garbarski peste à souhait) ne peut la souffrir, estimant qu’elle lui vole l’attention de son mari. Tous vont concourir, que ce soit voulu ou malgré eux à mettre notre couple tout gentil, tout charmant à bien rudes épreuves.
Un couple sous les feux des projecteurs
De chausse-trappes en coups du sort, de manipulations en promesses sibyllines, nos deux honnêtes amoureux vont tenter de s’aimer coûte que coûte, malgré la jalousie maladive, la défiance, la duperie, la très mauvaise interprétation des signes de la passion. Il va leur en falloir, de la patience, de l’abnégation, pour supporter la vilénie des uns et surmonter leurs propres démons. Mais chez Goldoni, auteur de plus de 200 pièces et particulièrement célèbre pour ses comédies, le deus machina est plutôt bienveillant et gentiment espiègle. Si les moult rebondissements de cette trilogie, écrite entre 1763-1764, à l’arrivée en France du dramaturge italien, mettent les nerfs à rudes épreuves, les effets de manche et les situations cocasses musclent assurément leurs zygomatiques. Rires garantis plus de 6 heures durant. Féministe dans l’âme le dramaturge vénitien esquisse de beaux portraits de femmes, d’hommes, de personnages, sans jamais tomber dans la caricature.
Une mise en scène de haute volée
S’appuyant sur la belle traduction de Ginette Herry et la complicité de son protégé l’épatant Édouard Signolet, Muriel Mayette-Holtz cisèle, polit et transcende la belle mécanique de Goldoni. Coupant de-ci- de-là, boostant la farce, elle adapte à merveille cette trilogie amoureuse, lui donnant la forme d’un feuilleton qu’on dévore avec délice. Loin d’épargner ses comédiens, tous épatants, elle les pousse à donner le meilleur d’eux-mêmes, à mouiller la chemise, à offrir aux publiques un festival de pantomimes, de grimaces et de singeries. Évitant avec brio l’écueil du boulevard, d’un classicisme empesé, elle signe une œuvre totale, une commedia dell’arte dépoussiérée, qui rend hommage au maître. Traversant les époques, les goûts et les codes, la directrice du TNN réussit parfaitement à accorder les esthétismes de l’épure et du baroque, notamment grâce aux costumes et décors signés? par Rudy Sabounghi, et séduit autant les jeunes que ceux qui le sont un peu moins.
Une distribution éclectique et brillante
Employant à merveille la troupe du TNN – Augustin Bouchacourt, Jonathan Gensburger, Fréderic de Goldfiem, Pauline Huriet, Thibaut Kuttler et Éve Pereur – , Muriel Mayette-Holtz s’amuse à mélanger les genres grâce à une distribution très éclectique – Charlie Dupont, Jean-Luc Gagliolo, Tania Garbarski, Félicien Juttner -, mais particulièrement efficace. Tous dans leurs registres font des étincelles et font le sel de cette comédie d’intrigues en trois parties.
Disons-le tout net, ça dépote au TNN. Le Feuilleton Goldoni est une gourmandise bien ficelée, qui croque joliment les travers de l’âme humaine. Un bonheur de drôlerie qui devrait faire les beaux jours de la Scala-Paris en septembre et de bien d’autres scènes, dont celles du théâtre de Liège, au cours de la saison 21-22. Chapeaux les artistes !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Nice
Feuilleton Goldoni
[L’Intégrale de la trilogie]
D’après la trilogie Les Aventures de Zelinda et Lindoro de Carlo Goldoni
Création au TNN
Du 20 au 29 mai 2021
Mise en scène de Muriel Mayette-Holtz assistée de Jennifer Maria
Assistant à la dramaturgie Édouard Signolet
Traduction & Texte Français de Ginette Herry
Avec Augustin Bouchacourt, Charlie Dupont, Jean-Luc Gagliolo, Tania Garbarski, Jonathan Gensburger, Fréderic de Goldfiem, Pauline Huriet, Félicien Juttner, Thibaut Kuttler, Joséphine de Meaux, Éve Pereur et François Barucco [piano]
Décor et costumes de Rudy Sabounghi
Modélisation maquette : Julien Soulier
Lumière de Pascal Noël
Musique Cyril Giroux
Les costumes et les décors seront réalisés dans une démarche écoresponsable.