Au Centquatre Paris, avant de partir pour le Quai d’Angers, Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan peaufinent leur dernière création. Créé en toute hâte en septembre dans le cadre du Rond-Point dans le Jardin, imaginé par Jean-Michel Ribes, Les gros patinent bien, spectacle de bout de ficelles et de cartons, est une détonante odyssée entre humour potache et imaginaire réinventé. Rencontre avec deux artistes passionnés.
Le temps tourne à l’orage. Le ciel est gris, les premières gouttes s’écrasent sur le macadam en ce début d’après-midi. A l’intérieur du Centquatre, transformé pour partie en « vaccinodrome », un petit nombre de personnes attendent leur tour, le moment où enfin ils recevront cette première dose, annonciatrice de temps meilleur, de retrouvailles. Sur le côté droit, un chapiteau a été monté, pour permettre au duo circassien, Valentine Losseau et Raphaël Navarro, de présenter La veilleuse, un spectacle holographique d’illusion et magie.
Rencontre fortuite
En sortant de cette courte présentation, quel plaisir de tomber nez à nez, avec le fascinant et inclassable Olivier Martin-Salvan. En résidence dans un des studios de répét’, il affine et cisèle, avec son complice de presque quinze ans, Pierre Guillois, Les Gros patinent bien, une œuvre singulière, née de leur désir de travailler ensemble sur un duo. L’occasion est trop belle, je lui propose de passer le lendemain pour, découvrir leur travail commun. Je suis d’autant plus curieux, que les deux artistes ont des univers à la fois très différents et très proches. Après s’être rencontrés en 2006, ils ont collaboré à de nombreuses reprises au théâtre du Peuple, puis à la création de Bigre, pièce dont la captation est toujours disponible sur le replay de France télévisions.
Un univers de Carton
En pénétrant dans la salle où les deux acolytes répètent, la première chose que l’on remarque, c’est la quantité de cartons qui s’éparpillent de la scène aux gradins. Il y en de toutes sortes. Certains – rares – sont encore vierges, d’autres ont été découpés en poissons, en sirènes, en oiseaux, d’autres encore ont été taggués, décorés, entièrement redessinés. Tout un univers, détonnant, déroutant, qui permet à Pierre Guillois et à Olivier Martin-Salvan, d’inventer le périple d’un anglo-saxon poursuivi par une étrange malédiction. « Quand nous avons décidé de travailler ensemble sur un duo, explique le metteur en scène du Gros, la vache et le mainate, nous avons tout d’abord envisager un spectacle décalé autour du monde du théâtre. Ce que nous avions envisagé ne fonctionner pas. Il y avait des cartons dans un coin. On les a récupérés et nous avons commencé́ à écrire dessus à l’aide de gros marqueurs noirs. » L’inventivité sans limites des deux compères a fait le reste.
Une odyssée hilarante au cœur de l’imaginaire
Revenant au basique du théâtre, aux effets de bric et de broc, les deux artistes plongent avec espièglerie et ingéniosité dans un monde fantastique et burlesque. Assis sur une chaise, le volubile et prolixe Olivier Martin-Salvan, dans une sorte de verbiage anglais, difficilement compréhensible, conte l’histoire d’un homme confronté à ses fantômes, à ses maladresses. « C’est une véritable épopée, s’amuse le comédien. Tout commence par une pêche miraculeuse dans un Fjord, pour se poursuivre dans les airs, sur les mers. De la Bretagne à l’Écosse, en passant par l’Espagne, mon personnage bien qu’immobile traverse des paysages variés, grâce à Pierre, qui lui ne dit mot, mais aussi grâce aux cartons il invite à un voyage dans l’imaginaire. On s’amuse beaucoup, d’autant que le spectacle parle aux petits comme aux grands. »
Un moment de partage
L’heure n’est plus à la rigolade, bien que Pierre Guillois cherche encore des astuces, de nouveaux gadgets pour la suite des répétitions. Ce soir, tout le décor, pas moins de deux cent cinquante cartons customisés doivent être parfaitement rangés pour partir en camion au Quai d’Angers, où les deux artistes vont continuer de peaufiner, Les Gros patinent bien. Détendus, aidés par deux de leurs collaborateurs, ils répertorient les différents accessoires, s’amusent, se promènent dans leur propre spectacle et revisitent certains moments avec malice, juste pour le plaisir de me faire entrer dans leur univers.
Un autre regard
Charmé par le travail et la personnalité d’Olivier Martin-Salvan – épatant dans son Ubu Roi -, mais peu convaincu par l’humour potache du gros, la vache et le mainate, plutôt énervé, voire furieux par Opéraporno, J’avoue avoir eu quelques réserves avant de rencontrer Pierre Guillois. Les premières images loufoques et délirantes de ce spectacle à quatre mains m’ont convaincu de mettre en sourdine mes réticences. Sans regret, j’ai passé une matinée en immersion entre ces deux artistes un peu folledingues, un peu décalés et profondément généreux. Sans aucune réserve, ils m’ont ouvert les portes des coulisses, m’ont convié à pénétrer dans leur intimité artistique. Un moment convivial, fort alléchant, qui m’ a donné envie de découvrir d’ici, cet été, on l’espère, ce nouvel ovni théâtral, qui promet de belles tranches de rire, de fascinants tableaux.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Gros patinent bien – Cabaret de Carton
Un spectacle d’Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois
création le 9 septembre 2021 au Rond-point dans le cadre du Rond-Point dans le jardin
Conseillère scénographe – Laura Léonard
Conseillère costumes – Elsa Bourdin
Régie plateau – Émilie Poitau
Crédit photos © OFGDA