Auteure et metteuse en scène basée à Rennes, Marine Bachelot Nguyen espère reprendre dans les plus brefs délais sa dernière création, Akila. Cofondatrice du collectif Lumière d’août, la jeune Quadra continue à questionner le monde contemporain, à mettre en exergue ses contradictions. Après s’être mise dans la tête d’une mère homophobe et fanatisée confrontée à l’homosexualité de son fils, elle puise dans le mythe d’Antigone, une manière d’aborder notre rapport à la laïcité. Rencontre au théâtre de l’humain.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Un conteur dans un château quand j’étais petite, qui racontait des histoires de fantômes : ça m’a fait pleurer, et donné envie de sortir dehors voir la lumière.
Et puis les fêtes du Têt dans la communauté viêtnamienne, avec la danse du dragon et autres danses folkloriques, visuelles, colorées.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Il y en a, je crois, plusieurs, successifs ou entrelacés. L’atelier théâtre exigeant que j’ai suivi quand j’étais au lycée ; Le mémoire que j’ai rédigé en Italie sur le théâtre de Dario Fo et Franca Rame ; La rencontre avec Roland Fichet lors d’un atelier d’écriture à la fac, puis le groupe de jeunes auteur.es qu’il a créé et dont j’ai fait partie au début des années 2000 ; Le fait qu’à la même période, j’ai aussi enseigné en lycée et à l’université, pour me rendre compte que ce qui m’animait le plus ardemment était bien la création artistique ; Lumière d’août, compagnie théâtrale et collectif d’auteur.es que nous avons fondé en 2004 à Rennes, a ensuite été un catalyseur.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être autrice et metteuse en scène ?
J’avais (et j’ai toujours) une urgence à dire, à écrire, à partager : le théâtre est l’espace parfait pour cette ambition. Je peux y être initiatrice, impulseuse, sujet de mon désir, inviter d’autres artistes à venir interroger, soulever, incarner et enrichir le texte que j’ai écrit, construire avec moi un univers scénique sensible multidimensions. J’aime aussi l’épreuve du public, le moment de la rencontre et du partage, les discussions qui s’ensuivent, les vécus et émotions qui circulent.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Un cabaret politique de petites formes que j’avais monté à la fac, avec plusieurs ami.es qui écrivaient et faisaient du théâtre. Avant même de jouer le spectacle en salle, j’avais voulu qu’on éprouve les formes en ville, dans l’espace public. C’était assez instinctif et un peu branque, mais on s’amusait !
Votre plus grand coup de cœur scénique – une pièce, une équipe, une personne, plusieurs personnes ?
J’ai été très marquée par Rwanda 94, du Groupov, spectacle-fleuve sur le génocide rwandais créé en 2000, « tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants ». Grosse claque. Outre l’impérieuse nécessité humaine et historique de cette oeuvre, sa dramaturgie réunissait avec justesse toutes les esthétiques du théâtre politique, et c’était passionnant.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Mes collègues et camarades de Lumière d’août évidemment, et puis des autrices comme Penda Diouf et Karima El Kharraze avec lesquelles sont nées des amitiés sororales nourries aussi par le militantisme, David Gauchard et Emmanuelle Hiron avec qui nous avons conçu et fabriqué Le fils… Et puis encore des actrices et acteurs comme Marina Keltchewsky et François-Xavier Phan, et d’autres collaborateur.ices artistiques de longue date. Ce que je trouve beau, c’est de grandir ensemble à travers des projets partagés, des aventures singulières où s’affûtent et mûrissent les talents et gestes artistiques des un.es et des autres.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
J’adore créer et me projeter, rêver des projets et travailler à les mettre en œuvre, alterner temps solitaires et temps collectifs, me nourrir de spectacles, transmettre, rencontrer de nouvelles personnes, prendre des trains, changer d’espaces… Dans cette diversité, tout l’enjeu consiste à se nourrir de ces dynamiques sans s’éparpiller ni s’épuiser.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les imbrications de l’intime et du politique, les généalogies historiques, sociales ou familiales, les féminismes, la colère et la révolte, la violence faite aux corps dominés, les tragédies, la puissance du rire, les récits minoritaires, le passé colonial de la France… Et l’humain dans sa complexité.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Je n’ai pas de rapport sacralisé à la scène. Mais j’aime cet espace vide où quelque chose advient soudain par l’alchimie de la présence d’interprètes qui prennent un texte à bras le corps, et l’adressent à un public. J’aime aussi lorsque l’espace est déjà habité et architecturé, quand on travaille dehors ou in situ, ou lorsque l’on conçoit et peaufine un dispositif scénographique, au service du texte et des acteurs.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Dans le ventre, qui est un deuxième cerveau chez moi très agité, zone de désir, d’émotions, et aussi de digestions multiples ! Et dans l’oeil, car j’aime regarder et observer, pour écrire comme pour mettre en scène.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Peut-être avec la chorégraphe Ea Sola, qui avait signé le magnifique spectacle Sécheresse et pluie avec des femmes âgées, anciennes combattantes de la guerre du Viêtnam – en croisant pourquoi pas avec des artistes de la scène hip-hop viêtnamienne contemporaine, qui est très stimulante !
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Des labos théâtraux qui auraient lieu dans des théâtres subventionnés, qui réuniraient des élu.es de la République (en particulier membres de l’exécutif, député.es, sénateur.ices…) et des travailleuses et travailleurs précaires, des personnes sans-papiers, des citoyen.nes touché.es de plein fouet par l’exploitation économique, le racisme d’Etat, les difficultés d’accès à la santé, au logement, etc. Histoire de se confronter au plateau, de travailler sur des sortes de pièces d’apprentissage, où il faudrait éprouver les places et les rôles de chacun.e, être plongé dans des situations concrètes, comprendre de l’intérieur, et suer pour de vrai. Des auteur.es et des metteur.es en scène encadreraient les labos, et y participeraient aussi. Bon, c’est une idée un peu potache et défouloir ! Mais est-ce que ça donnerait à cette élite, qui vit totalement séparée des réalités du pays, l’occasion de redescendre un peu sur terre, voire de changer ses pratiques et ses façons de légiférer ?
Si votre vie était une œuvre, qu’elle serait-elle ?
J’aimerais bien que ce soit une chanson, traduite en plusieurs langues, capable de traverser les époques, qui donne quelques frissons et du coeur au ventre !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Akila, le tissu d’Antigone
Texte et mise en scène de Marine Bachelot Nguyen
Tournée saison 2021-2022
Le texte est édité aux Editions Lansman.
Circulations capitales de Marine Bachelot Nguyen
A la Manufacture – Avignon en juillet 2021
metteure en scène Marine Bachelot Nguyen
en complicité avec Marina Keltchewsky et François-Xavier Phan
Le fils de Marine Bachelot Nguyen
Théâtre du Rond-Point
Mise en scène de David Gauchard.
Crédit photos © C. Ablain et © Giovanni Cittadini Cesi