Découverte lors d’un passage aux Subs de Lyon en novembre dernier, Inbal Ben Haim peaufine sa dernière création, Pli, en collaboration étroite avec Alexis Mérat, artiste plasticien et ingénieur froisseur plieur, et Domitille Martin, artiste plasticienne et scénographe. Charmeuse de papier dont elle se sert comme agrès, la circassienne israélienne, formée au CNAC, invite à un voyage au cœur de son processus artistique.
Comment le monde du cirque est-il entré dans ta vie ?
Inbal Ben Haim : J’ai commencé le cirque par la jonglerie à l’âge de huit ans. C’était, à l’époque, une activité en parallèle de ma scolarité, un hobby. J’observais mon père jongler avec des cailloux, toutes sortes d’objets. Il n’a jamais appris, c’était juste inné, évident. Comme j’étais une enfant assez compétitive, j’ai voulu le surpasser. Du coup, je lui ai demandé, presque obligé de m’inscrire à une formation. Après, le fait qu’en Israël, où j’ai grandi, il y a une convention de jonglerie, plutôt réputée et connue à travers le monde, cela m’a permis de rencontrer plein d’artistes différents et de découvrir des styles très variés. À 13 ans, j’ai pris des cours au Free Dome Project et dans la foulée, j’ai commencé à m’intéresser au cirque aérien, d’autant que depuis toute petite, j’adore grimper. Mes parents m’ont raconté qu’à un an, alors que je ne savais pas marcher, ils m’ont trouvé en haut d’une échelle. J’ai été fasciné par les artistes, qui voltigent, virevoltent dans les airs. Cela a été une étape importante de la construction de mon identité, car cette découverte m’a touchée à un endroit très profond de mon être. Je crois que le fait que cette révélation ait eu lieu au moment de l’adolescence, période où tu te poses mille questions, a d’autant plus résonné en moi.
Est-ce à partir de ce moment que vous avez eu envie d’en faire votre métier ?
Inbal Ben Haim : Je dirais plutôt que cela était dans la continuité de ce que je vivais depuis l’enfance. Devenir circassienne était dans la suite logique des événements. J’avais 13-14 ans l’envie d’approfondir davantage ces différentes disciplines, de perfectionner ma pratique, notamment au Cirque Shabazy, avec Ronny Kalev et Orit Nevo, les professeures et les femmes qui m’ont formé en Israel. En Israël, c’est assez compliqué de suivre une filière artistique. Ce n’est même pas évident du tout. L’économie de la culture est pas du tout développée comme en France. De fil en aiguille, j’ai donc postulé pour aller dans des écoles de Cirque en Europe, afin de me perfectionner, d’élargir mes horizons artistiques, et corporels. J’ai toujours développé en parallèle la danse avec le Butoh et le côté plastique de l’art, certainement lié à la filière « Cinéma et Arts Plastiques » que j’ai suivi au lycée. Et par ma mère, qui est plasticienne et art- thérapeute.
Quand êtes-vous venue en France ?
Inbal Ben Haim : Après le bac, il y a une obligation en Israël de faire un service de deux ans dans l’armée. J’ai refusé de le faire, optant pour le service civique dans un foyer de jeunes aux comportements difficiles et des histoires sociales plutôt complexes. Pendant tout ce temps, j’ai enseigné, mais je n’ai pas pratiqué le cirque. À la toute fin de cette période, j’ai eu l’opportunité de participer à un stage d’écriture de cirque organisé par mon ancienne professeure, Orit Nevo. Avec la complicité de Guy Carrara, d’Archaos, est né de ce travail Somewhere and Nowhere, un spectacle créé dans la cité massilienne à l’occasion de Marseille-Provence 2013 capitale européenne de la culture. C’est par ce biais que je suis venue en France, il y a huit ans. Mon copain de l’époque était en formation au Lido – Centre des Arts du Cirque à Toulouse. J’ai ainsi découvert toute la richesse des écoles de cirque en France. Même si je suis plutôt autodidacte, j’ai décidé de passer des auditions afin de me perfectionner. J’ai été prise pour la formation préparatoire artistique à Piste d’Azur, avant d’intégrer deux plus tard le CNAC à Chalons-en-Champagne, et ce, malgré une blessure du cartilage à l’épaule droite qui m’empêchait de me suspendre dans les airs. J’en suis sortie, il y a trois ans avec la création de Mathurin Boltze, Atelier 29.
Comment vous est venue l’idée de travailler le papier avec Alexis Mérat ?
Inbal Ben Haim : J’ai un rapport très spécifique et très particulier au corps et à la matière. Depuis l’enfance, ma mère étant plasticienne, j’ai toujours pratiqué. Cela m’a, du coup, toujours intéressé autant dans le cirque que dans le travail de l’agrès. Notamment, comment considérer ce dernier comme une matière et non uniquement comme un dispositif acrobatique. C’est d’ailleurs à Chalons, lors d’une masterclass avec Johann Le Guillerm au cours de laquelle il nous a demandé d’imaginer un exercice autour d’une « pratique minoritaire »- quelque chose qui n’était pas encore fait, ou du moins que nous n’avions jamais vu – , que j’ai commencé à travailler le papier. J’ai décidé de construire un immense oiseau en origami, sur lequel je souhaitais voler. Je n’ai pas réussi, c’était trop compliqué, mais à cette occasion, un peu énervée de ne pas arriver à mes fins, j’ai commencé à froisser le papier. Petit à petit, la matière, ainsi chiffonnée, a pris forme humaine. Je l’ai accrochée dans les airs, et j’ai, finalement, imaginé un duo porté avec cette grosse poupée. Suite à cette expérience, le CNAC nous a proposé deux semaines de laboratoire avec Alexis Mérat, artiste plasticien et ingénieur froisseur plieur. Très vite, ensemble, nous avons commencé à aborder l’idée de suspension sur papier, et donc de penser à la manière de transformer cette matière fragile, déchirable en corde lisse, qui est mon agrès de base. Petit à petit, nous avons dérivé vers d’autres dispositifs acrobatiques ressemblant de moins en moins aux agrès traditionnels de cirque. On utilise le papier de façon très différente. On se détache de ce que l’on connaît, pour mieux investir l’imaginaire, pour inventer une technique à part entière.
Depuis combien de temps avez-vous investi ce nouveau domaine ?
Inbal Ben Haim : Avec Alexis, nous travaillons ensemble depuis 2016. Puis, nous a rejoint Domitille Martin, artiste plasticienne et scénographe, qui s’est spécialisée dans la mise en espace des agrès. Après une petite pause d’un an et demi, où nous avons tous vaqué à nos propres projets, nous avons repris, il y a un an à peu près, le processus créatif de Pli. Depuis peu, nous avons fini les explorations plastiques et corporelles. Du coup, nous pouvons maintenant commencer l’écriture du spectacle. Cette première partie exploratoire était nécessaire pour sécuriser l’ensemble, vérifier qu’il était possible de me suspendre avec nos créations de papiers. Nous espérons pouvoir présenter ce travail au courant de l’automne prochain. La grande force de cette performance est que, les plupart les agrès que j’utiliserai, seront fabriqués à vue sur scène par mes deux complices, dans un geste autant artisanal que chorégraphique. Ce qui est important à mentionner c’est que le côté esthétique voulu de l’œuvre est un prétexte à parler de la matière en tant que telle, de sa fragilité, de sa force, mais aussi du corps soumis à l’inconnu, de la fragilité et la force de nous tous, humains.Je crois qu’au-delà du spectacle en tant que tel, il y a une vraie réflexion sur notre monde, sur l’état de l’humanité et de la planète.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Pli d’Inbal Ben Haim
Création en novembre 2021 aux Subs – Lyon
Conception et interprétation : Inbal Ben Haim
Scénographie, costumes, accessoires, interprétation et collaboration à l’écriture : Domitille Martin
Ingénierie – construction papier, interprétation et collaboration à l’écriture : Alexis Mérat
Regard extérieur corps et mouvement : Sophie Lascombes
Création lumière : Marie-Sol Kim
Création son : Max Bruckert
Conseils artistiques : Sophie Lascombes, Inbal Yomtovian
Conseils dramaturgie : Elodie Perrin
Crédit photos © Domitille Martin et © OFGDA