A l’affiche de Mithridate de Racine, mis en scène par Eric Vigner, diffusé récemment sur France Télévisions, et bientôt présenté au TNS, Yanis Skouta trace tranquillement son chemin. Sorti, il y a deux ans, de l’école du TNS, le jeune et volontaire comédien prépare actuellement avec la metteuse en scène Sophie Lagier, l’adaption de Genes 01 de Fausto Paravidino. Rencontre avec un artiste engagé et pugnace.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je n’ai pas d’image de spectacle. En revanche, j’ai un lieu. C’est la grande salle de la Maison des Arts de Créteil. Je suis né et j’ai grandi à Créteil, et forcément ma première expérience a dû avoir lieu dans cette salle, puisque régulièrement on allait avec l’école y voir des spectacles. C’est une salle immense de 1100 places à peu près, disposées frontalement à la scène. Ce n’est pas l’image d’un spectacle que je retiens, mais l’image des grands escaliers de cette salle. Quand on entre par le haut et qu’on se tient devant la première marche, avec tout le public en bas et le brouhaha, c’est assez vertigineux. J’ai été ouvreur 4 ans dans ce théâtre quand j’ai commencé ma formation, et je ne me suis jamais lassé d’être là debout porte impair côté gauche, en haut des escaliers, au seuil de la représentation, quand le public s’agite et que la lumière se baisse.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Il s’agit plus du moment où j’ai reconnu ce qui était là depuis toujours. Je venais de recevoir les résultats du concours de première année de médecine (oui, oui), et je n’étais pas assez bien classé pour le réussir du premier coup – moi qui ai toujours été en tête sans efforts, et sans passion. Cela voulait donc dire redoubler, pour ne pas forcément l’avoir, pour peut-être se réorienter, avoir perdu 2 ans etc… Et c’est en discutant de mon avenir avec ma mère qu’elle m’a dit « Et le théâtre, tu as toujours bien aimé, non ? »… Je suis resté choqué, en silence, un petit moment. Bien sûr j’avais depuis toujours l’appétit du jeu, j’avais fait du théâtre à 8 ans déjà, et puis au lycée… Mais en faire un métier ? C’était une évidence. C’est surtout une barrière sociale qui a sauté. Ce jour-là, j’ai vraiment écouté mon désir, plutôt que de suivre la voie héritée de mon milieu : bonne études – bon métier – sécurité.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Ce n’était pas un choix. C’était instinctif. C’était jouer. Je ne connaissais rien au théâtre. À partir du moment où j’ai pris ce virage, ça ne pouvait être rien d’autre que comédien. Et si je devais prendre une autre position que comédien, metteur en scène par exemple, ce serait jouer. Pédagogue, jouer. Assistant, jouer. Écrivain, jouer.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Mis à part un spectacle d’école à 6 ans dont je ne me souviens plus très bien, mais où j’ai dû interpréter un nuage ou la mer, tu connais, c’était Le Procès du Loup. On juge le Grand-méchant Loup pour son crime. J’avais 8 ans, je faisais le juge. C’était un pur moment de joie, j’avais une énergie folle, je tapais comme un dingue avec le marteau « Silence dans la salle !… Et dans les spectateurs… ». Mais avant ce jour J, j’avais beaucoup trop de pression pour apprendre toutes les petites répliques… C’est un peu ce qui m’a fait ne pas reprendre l’année suivante.
Votre plus grand coup de cœur scénique – une pièce, une équipe, une personne, plusieurs personnes ?
Si je dois dire une claque majeure, ce serait La barque le soir de Claude Régy. Forcément ce genre de claque arrive quand on ne connaît pas encore tout à fait le théâtre. J’étais au début de mon apprentissage, j’avais pris quelques mois plus tôt la décision de ne faire que du théâtre. Je n’étais juste pas prêt. Ça a été une expérience profonde, et, en sortant, je regardais tout différemment. La pluie, la lumière des lampadaires dans la nuit… Je me suis dis « en fait le théâtre ça peut être ça aussi ? ». – Le fait qu’une pièce de théâtre soit aussi une expérience du corps. Ensuite j’ai lu tout ce que j’ai pu sur ce grand metteur en scène, et j’ai couru pour aller voir Intérieur et Rêve et folie. Je dirais que c’est à partir de cette œuvre que j’ai commencé à me construire théâtralement.
Après ça j’ai eu des beaux coups de cœur, mais peut-être que j’avais trop mûri pour me faire prendre comme pendant La barque le soir.
Tout de même il y a quelques spectacles qui m’ont bien marqué, 2666 de Julien Gosselin, Au pied du mur sans porte de Lazare, Clôture de l’amour de Pascal Rambert, Une Femme de Marcial Di Fonzo Bo, Le dernier spectacle de Jerôme Bel, What if they went to moscow ? de Christiane Jatahy, Passim de François Tanguy, Médée Matériau de Anatoli Vassiliev…
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Dans l’ordre je peux dire Sophie Lagier, qui a été mon intervenante tôt dans ma formation. J’y ai découvert mes auteurs, et un certain regard sur l’art plus largement.
Ensuite, et je dois l’admettre, principalement Stanislas Nordey, que j’ai rencontré lorsque j’ai intégré le programme Ier acte. C’est une personne généreuse, et, pour moi, un exemple en pédagogie. J’ai vraiment découvert dans ce qu’il nous a proposé ce que je cherchais jusque-là. Et après durant ma formation, ça a été Veronique Nordey, Bruno Meyssat, Loïc Touzet… d’autres évidemment. C’étaient des ateliers sans attente de résultats, inscrits dans un temps non productif. On avait un plateau, un cadre pour creuser et aller chercher des outils très spécifiques. Et pour fouiller, ça demande d’être vraiment à l’écoute de soi, et ça fait du bien. J’ai l’impression que tous les outils qui ont été acquis par sa propre expérience, dans la joie, non seulement sont très spécifiques à qui l’on est comme comédien, mais aussi sont ancrés pour toujours en nous.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
En tout. Je ne fais essentiellement que ça, j’ai envie de ne faire que ça, pour l’instant bien sûr. Et heureusement, pour moi pratiquer, ça peut prendre plusieurs formes. Par exemple, monter au grenier et sortir de la poussière les albums de famille.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La lumière.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Vital.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le ventre.
Et puis le cœur, la sensibilité. La gorge, la rage. Et les dents.
Pour mordre ou pour sourire, c’est selon.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Plein. Par pudeur je ne vais pas tous les citer, et puis comme ça, ça fait de la place à ceux que je ne connais pas encore, et aussi aux jeunes metteur·e·s en scène de ma génération.
J’ai aussi surtout envie de vivre des expériences d’équipes et de porter des écritures : Fosse, Duras, Müller, Racine, Rambert, Lemoine, Pellet, Galléa, Ndiaye… et d’autres. Et des plus contemporaines encore. Je crois que c’est important de prendre le risque de jouer et de donner sa chance à des écritures naissantes. C’est elles qui vont essayer de parler au plus proche de là, maintenant. C’est excitant.
Un peu à contre-pied, j’aimerais vraiment faire l’expérience de l’acteur chez François Tanguy.
Sinon j’aurais plus que tout, aimé jouer dans un film de John Cassavetes. C’est brut.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
En rêvant dans mes moyens, je dirais un long projet fleuve à la Julien Gosselin, ou les 18 heures de Thomas Jolly. Et aller jouer dans un pays étranger, je ne l’ai pas encore fait.
Et fou fou, faire du théâtre dans l’espace, mais là le théâtre devient un prétexte.
Si votre vie était une œuvre, qu’elle serait-elle ?
Ouvrir la voix de Amandine Gay. Dans le processus d’être renvoyé à une image, alors qu’en réalité ton identité est profondément plus complexe et paradoxale.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Mont vérité de Pascal Rambert
Printemps des comédiens
Domaine d’O
Crédit photos © Margot Diméo et © Jean-Louis Fernandez