Au théâtre 14, le Narbonnais Pierre Maillet invite à plonger dans ses souvenirs, à suivre le fil des petits riens, des anecdotes, des moments déterminants de sa vie qui ont fait de lui le comédien qu’il est aujourd’hui. Aidé dans ce processus introspectif par le dramaturge Tanguy Viel et la metteuse en scène Émilie Capliez, il se met à nu dans une performance folle, intense et vibrante.
Il suffit parfois de pas grand-chose, d’un mot, d’un nom pour susciter l’envie, pour allécher nos babines. Pierre Maillet fait partie de ces artistes rares, humains, qu’on suivrait les yeux fermés. La première fois où j’ai vu l’un de ses spectacles, c’était en mars 2015. Je débutais ma nouvelle carrière de critique. Journaliste scientifique, je basculais lentement mais sûrement vers le monde de la culture, totalement conquis par la force, la puissance émotionnelle de l’art vivant. Passionné d’art plastique, je m’étais laissé convaincre d’aller au Centquatre Paris à l’évocation d’Andy Wahrol, de Jim Morissey et de Joe D’allessandro. Pour être tout à fait honnête, la présence sur scène de Clément Sibony a pas mal joué dans la balance. J’étais curieux de le voir sur un plateau. Le charme a opéré. Le diptyque Little Joe fut une belle entrée en matière dans l’univers de l’artiste narbonnais.
Le travestissement, un art majeur
Se glissant dans la peau d’Holly Woodlawn, égérie de la Factory, premier travesti superstar de Warhol et comédienne trans américaine, Pierre Maillet fait des étincelles. Drôle, touchant, il suffit qu’il apparaisse pour faire le spectacle. Il excelle dans ce registre caustique autant qu’extravagant. Ce personnage entre deux eaux, deux sexes, lui plait tellement que quelques années plus tard, il adapte sa vie dans un show délirant, One night with Holly Woodlawn. Charismatique, n’hésitant pas à mouiller sa chemise, à se donner à mille pour cent, cet acteur dans l’âme a trouvé depuis longtemps sa voie. Il n’avait que douze ans, quand, accompagnant sa sœur au cinéma, il est littéralement bluffé par Dustin Hoffman dans le rôle de Toostie. Le jeune garçon est ferré. Petit à petit, la flamme grandira, le désir de devenir comédien fera son chemin.
La force des fêlures
Rien ne prédestinait, ce fils de boucher-charcutier de Narbonne a embrassé la carrière de saltimbanque. Et pourtant, au fil de son récit introspectif, Pierre Maillet livre les secrets de famille, les blessures qui ont fait de lui pas à pas le comédien qu’il est aujourd’hui. Petit garçon sage, il grandit au côté d’une grande sœur très protectrice, qui l’emmène partout avec elle. Incapable de supporter la vie sans la brûler par les deux bouts, elle finira sa trop courte et vive existence dans un platane. Après le drame, rien n’est plus pareil. Sa mère a un amant, son père perd le goût de tout, même de la jalousie. L’adolescent se passionne de plus en plus pour le jeu. Il quitte sa ville natale pour Montpellier, puis Rennes, où il rentre à l’école du TNB.
Une famille de théâtre
Par touches, de son humour un brin burlesque mâtiné d’une douce mélancolie, Pierre Maillet égrène les anecdotes, s’amuse à rejouer les moments clés de sa vie. Il raconte ses passions, ses rencontres, ses amours. Loin du sud de la France, il se reconstruit auprès de Laurent, d’Élise et de Martial. La tragédie n’est jamais loin, elle fait partie d’un tout. Avec le temps, il l’accepte et continue d’avancer. La scène est son exutoire. Il s’y donne à cœur joie. Solaire, irradiant, il brûle les planches.
Un spectacle autobiographique
Confiant ses maux à Tanguy Viel, Pierre Maillet se libère de tout un aéropage de souvenirs. Il se délecte à explorer sa mémoire, se joue de cette mise en abyme d’un art qu’il a fait sien. Drôle, touchant, jamais il ne cesse d’être autre, laissant parfois entrevoir qui il est vraiment, un être du sensible. Porté par la mise en scène de sa complice, Emilie Capliez, il largue les amarres pour mieux conter son amour du théâtre et de la comédie. Humain, il livre dans Une Vie d’acteur son histoire, sa passion, le monde qu’il a choisi de faire vibrer, palpiter. Le Narbonnais, devenu grand, offre dans ce seul-en-scène un concentré d’intelligence et de folie, une gourmandise à déguster avec délectation.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Une vie d’acteur de Tanguy Viel
Théâtre 14 – Présentations professionnelles
Durée 1h20 environ
Mise en scène Émilie Capliez
Avec Pierre Maillet
Production Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace
Création dans le cadre de la tournée « Par les villages », dispositif hors-les-murs de la Comédie de Colmar.