À Limoges, malgré les contraintes sanitaires actuelles, le festival dédié aux écritures francophones, les « Zébrures du printemps », a ouvert ses portes le 20 mars dernier pour les professionnels et les scolaires. Pandémie oblige, c’est en comité restreint qu’il a été possible d’entendre les mots de l’haïtien Guy régis Jr, de la suisse Valentine Sergo et du dramaturge d’origine algérienne Mohamed Kacimi. Reportage au cœur des maux d’hier et d’aujourd’hui.
Petit vent frais, grand soleil, la gare de Limoges-Bénédictins accueille chaleureusement les voyageurs venus de Paris. Le périple fut long, épique, un très grave accident voyageur ayant bloqué près de trois heures durant la course ferroviaire de l’intercité en gare d’Issoudun. Pas le temps de traîner, d’admirer l’architecture unique de ce chef d’œuvre monumental, dont l’esthétisme emprunte autant à un Art nouveau tardif, qu’à l’Art déco mais aussi au néo-classicisme, dans quelques minutes, la metteuse en scène Catherine Boskowitz dirigera la lecture de L’amour telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Jr à l’Espace Noirac.
Une première édition contrainte mais prometteuse
Pour l’équipe des Francophonies, ce mois de mars 2021 a une saveur toute particulière. Après l’annulation l’an passé de la manifestation en raison du confinement, les premières Zébrures de printemps, dédiées aux écritures francophones, peuvent enfin avoir lieu. Bien sûr, restrictions sanitaires obligent, seuls quelques professionnels et des scolaires peuvent participer, mais le mouvement, voulu par l’artiste burkinabé Hassane Kassi Kouyaté, est lancé. L’objectif est de faire entendre d’autres voix, d’autres esthétismes, d’autres langages. A terme, certains des textes lus, à cette occasion, seront accompagnés jusqu’à la mise en scène et programmer dans les cadres des zébrures d’automnes. C’est d’ailleurs le cas de deux des trois lectures auxquelles nous avons pu assister.
Pensées d’Haïti
Confiné à Port-au-Prince, Guy Régis Jr, habitué des francophonies, n’est malheureusement pas dans la salle pour entendre ses mots résonnés sous la haute voute de l’Espace Noirac, aux faux airs de quelques bâtisses toutes droites sorties de Game of Thrones. Sur scène, aux côtés de Catherine Boskowitz, qui lit les didascalies, quatre comédiens vont donner vie au texte du dramaturge haïtien. Écrit pour la comédienne guadeloupéenne Nathalie Vairac, L’amour telle une cathédrale ensevelie conte les états d’âme d’une femme, d’une mère. Expatriée dans une lointaine contrée, quelque part au nord, auprès d’un mari retraité avec lequel elle se dispute en permanence, elle cherche désespérément à retrouver son fils disparu en mer alors qu’il tentait de fuir une vie, un pays.
Poésie universelle du quotidien
Entremêlant aux cris maternels, les chants créoles d’un chœur de migrants sombrant dans les eaux sombres d’un océan déchaîné, Guy Régis Jr questionne la quête d’identité, le déracinement, le lien viscéral entre une mère et son fils, entre un être humain et sa terre natale. Portés par les comédiens et la très réussie et très ingénieuse mise en lecture de Catherine Boskowitz, les mots du dramaturge touchent droits et justes. Opposant le quotidien d’un couple qui se déchire à l’urgence impérative de quitter un pays à la violence endémique, L’amour telle une cathédrale ensevelie est un long, âpre et très beau poème. Après cette alléchante présentation, Il faudra attendre les zébrures d’automne 2022, pour découvrir la pièce montée par son auteur.
Une jeune fille dans la tourmente
Un peu plus tard, C’est l’autrice suisse Valentine Sergo qui donne vie à Chaos, premier volet de sa trilogie Cyclone qui se veut porteuse d’histoires de femmes entre le 20e et 21e siècle. Quelque part au Moyen-Orient, Hayat, tout juste majeur, donne naissance à Nour. Poursuivie par une milice, elle doit se résoudre à quitter son pays, en laissant derrière elle sa fille chérie. Entrelaçant passé et présent, la dramaturge et metteuse en scène tisse l’histoire d’une jeune femme pris dans les tourments de la guerre, des religions, d’une société patriarcale. Trop aimée de son père, rejetée par sa famille, manipulée par une prof de danse, Hayat va devoir se battre pour survivre, puiser au plus profond de sa chair la force de s’affirmer, d’être elle-même. La lecture, bien que parcellaire, est prometteuse. Les comédiens insufflent au texte une belle dimension qui transforme l’ordinaire en épique et donne à ce récit une vibrante humanité. La création du spectacle est prévue pour l’automne prochain.
Sur les traces d’un poète
Le séjour limougeaud s’achève sur une note de lyrisme, un chant d’amour d’un poète à un autre. De sa voix envoûtante, hypnotique Mohamed Kacimi calque ses pas sur ceux de Kateb Yacine. Puisant dans les mots, dans l’œuvre de cet enfant de Constantine, il raconte l’homme, l’écrivain, le dramaturge, le journaliste. De sa mère morte trop tôt à son départ pour la France, il fait revivre ce personnage rare, auteur du Cadavre encerclé et de Nedjma, témoin de tout un pan de l’histoire du XXe siècle. Ayant connu la colonisation, la décolonisation, l’indépendance de l’Algérie, il n’a jamais caché ses positions radicales envers les politiques, les intégrismes et les religions.
Un hommage vibrant
Petite forme imaginée en mars dernier pour rendre hommage à Kateb Yacine à l’occasion des trente ans de sa disparition, cette lecture théâtralisée, soulignée par les musiques jouées en direct par Saoud Massi, invite à un voyage à travers les mots, les histoires d’un héros mal connu, d’un être de chair et de sang profondément lucide et humain. Totalement envouté, on serait bien resté encore des heures à écouter les petites anecdotes qui font de la vie du poète algérien, une fable, un conte d’hier et d’aujourd’hui.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les zébrures du printemps – Les Francophonies de l’écriture à la scène
L’amour telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Jr
Direction lecture – Catherine Boskowitz
Chaos
Texte, direction de lecture et lecture Valentine Sergo
Sur les traces de Kateb Yacine de Mohamed Kacimi
Extraits de l’œuvre poétique de Kateb Yacine
Avec Mohamed Kacimi et Souad Massi
Crédit photos © Christophe Péan