Faute de pouvoir présenter dans des conditions normales, la reprise Des Fables à la Fontaine, initiées par la Petite Fabrique d’Annie Sellem au début des années 2000, Chaillot – Théâtre national de la Danse et ses partenaires, tel que l’avant Seine de Colombes, s’invitent dans les écoles et collèges. Face aux regards émerveillés des enfants, les artistes invitent à une danse baroque entre agneau et loup.
Grand soleil sur Paris, les statues dorées du parvis du Trocadéro brillent de mille feux. La vue sur la Tour Eiffel est dégagée. Pas un nuage à l’horizon, la journée s’annonce douce et lumineuse. Devant Chaillot, un taxi attend pour conduire quelques journalistes dans une école de Colombes pour découvrir le travail de la chorégraphe Béatrice Massin, grande spécialiste française de la danse baroque, autour d’une des Fables de La Fontaine, Le Loup et l’agneau. Tout au long du trajet, les bâtiments de béton, les maisons de brique défilent derrière la fenêtre. Certains piétons font leurs courses, d’autres, des retardataires se précipitent vers un arrêt de bus, une station de métro. Les minutes s’égrènent prestement. A peine le temps de (re)prendre connaissance du projet, dont nous avions pu voir Salle Gémier, une représentation à huis-clos en novembre dernier, qu’une grille blanche se dresse devant nous. C’est l’entrée de l’école.
Un spectacle itinérant pour jeune public
Dans une salle polyvalente, quelques chaises bien distanciées ont été installées en cercle face à une scène improvisée. Un tapis de danse a été posé sur le sol de béton, pour protéger au mieux les corps soumis à rudes épreuves des artistes. Deux échelles noires jais sont les uniques éléments de décor. Entrechats, pirouettes, Mylène Lamugnière s’échauffe, pendant que son partenaire, Félix Heaulme, se prépare, caché derrière des paravents, sorte de loge de fortune. Au loin un brouhaha se fait entendre. Les enfants, une petite vingtaine et leur professeur viennent d’arriver. Malgré l’excitation qui les gagne, ils suivent à la lettre les consignes sanitaires qu’on leur impose. Masque sur le visage, ils gardent les distances.
Silence, on danse !
Pas le temps de dire ouf, concentrés sur le spectacle à venir, les élèves de CE2 et CM1 ne disent plus mot. Dans le silence, deux étranges créatures envahissent le plateau. Sous des moumoutes, l’une noir, l’autre blanc cassé, les deux artistes prennent possession de l’espace. Commence alors un étrange ballet, une parade entre séduction et prédation. Pas un bruit ne vient perturber ce jeu du chat et de la souris. Puis, des notes de viole de gambe s’envolent des baffles. Les musiques de Marin Marais, compositeur français du XVIIe siècle, entrent en résonnance avec la Fable de La Fontaine, dont pas un mot, une ligne ne sera pourtant prononcée.
Baroque d’aujourd’hui
Pour donner corps au Loup et L’agneau, Béatrice Massin s’est inspiré des danses baroques du XVIIe et XVIIIe siècles, dont elle connait tous les mouvements, les gestes, les variations. Port de tête droit, arabesques rondes, bras ouverts tendus, la chorégraphe nous invite à un bal de cour. Avec un peu d’imagination, on quitte Colombes pour les jardins de Versailles. Les danseurs ont laissé place au roi Louis XIV et à l’une de ses favorites. Suivant la dramaturgie de la fable, inspirée de celle d’Esope et Phèdre, elle invite à plonger dans ce jeu de dupe, « où la raison du plus fort et toujours la meilleure. » Rien n’y fera, le trop doux agneau ne pourra attendrir le ténébreux loup. La séduction tourne court. Le loup s’est bien amusé, l’agneau a bien tenté de fuir, mais attiré par le soufre, finit dans la gueule de son trop enchanteur ennemi.
Le temps de l’échange
Vingt minutes durant, happés totalement par les tableaux qui s’enchaînent dans un brutalisme lumineux – des néons comme seul éclairage – , les élèves, se laissent porter par les gestes, les pas de deux. Ils n’ont pas perdu une miette de l’histoire. Après l’âpre début, un peu trop abscond, très vite, ils ont saisi le sens de l’histoire, en ont compris toutes les nuances. Avides de partager leurs ressentis, leurs expériences, ils échangent leur point de vue, interrogent les danseurs et le répétiteur. Derrière les gestes, le langage de la danse leur est apparu avec limpidité et clarté. C’est troublant de voir ces jeunes filles, ces jeunes garçons fascinés par un pas de côté, une arabesque.
D’autres fables à venir
Faisant partie du corpus chorégraphique des Fables à la Fontaine, un projet lancé en 2000 par la Petite Fabrique d’Annie Sellem, Le loup et l’agneau se prête particulièrement à l’exercice du Hors les murs. D’autres fables devraient ainsi dans les semaines et mois à venir prendre le chemin des écoles et collèges, faire entrer un peu d’art vivant dans les établissements scolaires et montrer que bien qu’inaccessibles au public, théâtres, compagnies et artistes continuent à travailler, à défendre leur art, à diffuser comme ils le peuvent leur spectacle. Dans quelques semaines, Chaillot espère réitérer l’expérience, cette fois avec la fable, Contre ceux qui ont le goût difficile, revue par Lia Rodrigues, un petit bijou de couleur et d’humanité, et pourquoi pas reprendre la tournée de cette belle initiative attendue dans pas moins d’une vingtaine de villes en France.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les fables à La Fontaine – la Petite Fabrique d’Annie Sellem
Chaillot – théâtre de la danse
Représentations scolaires
Le Loup et l’Agneau (20 MIN)
Chorégraphie de Béatrice Massin
Lumière de Rémi Nicolas
Extraits musicaux de Marin Marais
Costumes de Dominique Fabrègue et Clémentine Monsaingeon
Avec Felix Heaulme et Mylène Lamugnière
crédit photos © E. Fimbel