Membre fondateur du collectif Le Grand Cerf Bleu, Laureline Le Bris-Cep prépare avec ses complices de longue date, les frères Tur, une évocation du héros de la forêt de Sherwood, Robin des bois. En attendant de pouvoir remonter sur les planches, l’irradiante comédienne invite à découvrir son univers artistique et créatif.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
J’essaye de m’en rappeler… Bizarrement, je n’ai pas vraiment été au théâtre petite. Je dirai un spectacle de cirque, dont les places avaient sûrement été obtenues par le comité d’entreprise de mon père.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Quand, dans un atelier théâtre avec l’association de ma ville, on nous a fait hurler des vers d’Andromaque comme si c’était du rap.
L’enseignement et les encouragements de Coco Felgeirolles, qui était ma prof au conservatoire de Cergy, y ont joué pour beaucoup. Enfin, en me rendant à l’évidence que le théâtre était ce qui me donnait envie d’avancer dans la vie, ce qui avait le pouvoir de mobiliser toute ma volonté, ma joie, mon envie de dépassement de moi-même.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne et metteuse en scène ?
La possibilité de tout faire, ou presque ! Grâce au théâtre, je peux embrasser mon goût pour la littérature, la philosophie, les sciences sociales, la politique, la musique, sensiblement, physiquement, émotionnellement. Comédienne, j’aime les répétitions, les scènes de grande colère, être une surface de projection, le saut dans le vide, et même ce moment en coulisse où tu te dis « putain qu’est ce que je fous là ».
Je met en scène parce qu’être à l’initiative de choses fait partie de moi. J’ai une idée, des images dans la tête, et je veux les voir exister, vite ! J’adore les débuts, lorsque l’on réunie des personnes et que l’on commence à rêver, à investiguer… Je suis passionnée de voir petit à petit un spectacle trouver sa forme, ses mots, voir comment des intuitions deviennent des évidences.
Et puis aussi faire du théâtre, c’est faire le choix d’un rythme de vie en dehors des clous, sans heures fixes, sans routine, en acceptant que le doute fasse partie intégrante de son existence.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
En CE1, à la salle des fêtes de Chanteloup-les-vignes, j’étais le petit chaperon rouge. J’avais aussi remplacé au dernier moment une camarade qui avait renoncé à jouer. Je me rappelle d’un grand plaisir, d’exister aux yeux de tous comme si je jouais dans ma chambre, de ma fierté aux saluts. Professionnellement, c’était lors de ma troisième année à l’ERAC, avec Catherine Marnas, un spectacle qui s’appelait N’enterrez pas trop vite Big Brother. Nous avions répété à la Chartreuse, j’avais fait une très belle rencontre avec une des comédiennes libanaises de la distribution, nous avions fait une tournée au soleil de la région PACA : un aperçu excitant de ce que pouvait être cette vie à venir.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Ça craint, je ne sais jamais quoi répondre à cette question… Il n’y en a pas vraiment un grand souvenir qui surplomberait tout. Je dirais que j’ai des émotions très particulières quand j’assiste à des spectacles en extérieur, en rapport avec les éléments. Les spectacles de Milo Rau, de Mohammed El Khatib, Gisele Vienne… Quand je vois Audrey Bonnet ou Catherine Germain jouer.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Évidemment mes chers grands cerf bleus, Gabriel Tur et Jean-Baptiste Tur, avec qui je partage cette aventure de vie depuis 6 ans ! Juliette Prier et Adrien Guiraud, mes vieux camarades, et grands amis qui ne sont jamais bien loin. Et aussi toutes les personnes, professeurs, metteurs en scène, camarades qui m’ont ouvert à leur amour du théâtre, leurs exigences, leurs folies.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Il est totalement fondu à ma vie intime, amicale, sociale. Il faut avouer que c’est beaucoup par la pratique de mon métier que je me définis, me sens exister, vibrer. Sans, la balance vacille. Peut-être trop d’ailleurs. C’est, je crois, l’une des raisons pour laquelle ce qui se passe en ce moment est aussi difficile pour les artistes, pourquoi il est essentiel que les lieux culturels ré-ouvrent, que nos perspectives s’éclaircissent.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les gens dans la rue, dans le métro. Mon enfance, mes blessures. Le silence et la fête. La lecture, la nature. Le travail de Christian Boltanski et de Raymond Depardon, les livres de Patti Smith.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Ça me fait autant peur que ça me fait tout oublier. Et j’ai aussi besoin de me dire qu’il est politique.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
De la fontanelle à l’anus. Parce que ça relie ciel et terre.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Franchement, avec toute personne qui aurait envie de travailler avec moi ! Et autrement, j’adorerai découvrir de l’intérieur le travail de Milo Rau, ou dans une autre vie tourner avec Maurice Pialat.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Partir plusieurs semaines dans différents pays pour faire un travail de recherche sur les politiques utopiques pour demain.
Participer à une série théâtrale où l’on joue un épisode le soir et on répète l’épisode suivant en journée.
Jouer l’Echange de Claudel en front de mer.
Faire un film sur une île lointaine avec une grosse prépa physique.
Diriger un lieu en collectif.
Si votre vie était une œuvre, qu’elle, serait-elle ?
Une sorte de grande installation déambulatoire. Il y aurait une petite pièce recouverte du sol au plafond de centaine de photos des vieux albums, et une playlist des années 2000 serait diffusée. Dans une autre pièce, il y aurait des lectures performatives de listes : des objets de la maison, des ordonnances médicales, des rêves à accomplir. On se baladerait entre des toiles transparentes sur lesquelles seraient imprimés des paysages de plages, et ça finirait dans une salle avec un dj set en continue et du gros son.
Ou alors, celle qui m’occupe l’esprit au moment présent parce que je suis en train de travailler dessus : comme c’est le cas aujourd’hui avec Robins – expérience Sherwood, la prochaine création du Grand Cerf Bleu.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles de Joan Yago – Mise en scène le Grand Cerf Bleu
Ctrl-X de Pauline Peyrade, Mise en scène de Cyril Teste
Monfort théâtre – Cabane
Jusqu’ici tout va bien, une création du Collectif Le Grand Cerf Bleu
Théâtre de La manufacture – CDN de Nancy Lorraine
Non c’est pas ça ! (treplev variation) librement inspiré de La Mouette, d’Anton Tchekhov. Mise en scène Le Grand Cerf Bleu
le Centquatre-Paris
Crédit photos © OFGDA, © Laurier Fourniau, © Samuel Rubio, © Simon Gosselin