Guy-Pierre Couleau emboîte le pas au maître Peter Brook, en adaptant le Hamlet traduit subtilement par Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne. Déroulant avec épure et sobriété le fil paranoïde et fou qui ronge l’âme du prince du Danemark, il donne à la tragédie de Shakespeare, toute sa puissance destructrice. Un spectacle en bout du processus créatif très prometteur.
Finies les journées printanières, place aux giboulées de mars, les nuages gris ont envahi le ciel, La pluie froide nettoyée le noir de l’asphalte. Pas un chat ne traîne devant le parvis du théâtre 13 jardin. Les quelques professionnels, venus assistés à l’un des derniers filages de La Tragédie d’Hamlet, mis en scène par Guy-Pierre Couleau, se sont tous repliés dans la salle, au chaud, à l’abri. En raison des restrictions sanitaires, les gradins sont fort clairsemés. Pour les artistes en manque de public, d’échange, c’est déjà ça. Bien sûr, c’est loin d’être la panacée, mais cela leur donne a minima l’impression de jouer pour quelques-uns.
Face à l’âme
Sur une scène vide, le jeune Hamlet (épatant Benjamin Jungers) erre, l’âme en peine. Son père bien aimé, n’est mort que depuis deux mois, mais déjà sa mère, la Reine Gerturde (impeccable Anne Le Guernec) convole en justes noces avec Claudius (ténébreux Nils Ohlund), le frère du défunt. Perdu dans ses noires pensées, il imagine un complot, une manipulation large et funeste, qui ont pu permettre à son oncle d’accéder au trône. S’enfermant chaque jour un peu plus dans ses désirs de vengeances, ses rêves paranoïaques, il perd pied, devient neurasthénique et perd le sens des rapports humains et sociaux.
Pris dans le tourbillon mortifère de la vengeance, le jeune anti-héros fonce nonchalamment vers sa fatale destinée. La machine infernale est en route, rien ne pourra l’enrayer, ni la mort de son premier amour, la trop pure Ophélie (évanescente Sandra Sadhardheen), ni le meurtre par erreur du père de cette dernière, le trop servile Polonius (nuancé Emil Abossolo M’Bo).
Inspiration Basquiat
S’emparant de l’adaptation de Peter Brook, servie par la belle traduction de Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne, Guy-Pierre Couleau joue la sobriété, l’épure pour que résonne parfaitement la prose de Shakespeare et les maux d’Hamlet.
Dans un décor réduit à son plus simple appareil, où quelques graffitis rappelant l’œuvre avant-gardiste et underground du peinte américain Jean-Michel Basquiat. Crane stylisés, couronnes à trois pointes emblématiques de l’artiste, viennent souligner le drame royal à venir, la tragédie implacable de l’auteur anglais. Démons et fantômes hantent le plateau, ainsi que l’esprit naïf et fragile du jeune et romantique prince.
Une mise en scène au cordeau
Ancrant l’histoire dans une sorte d’intemporalité très contemporaine, évitant ainsi les effets de style qui prêtent souvent à des interprétations trop appuyées du mythe d’Hamlet, Guy-Pierre Couleau offre le nécessaire et juste écrin pour qu’éclate imperceptiblement la folie du héros. Le poison de la vendetta instillée par le spectre coule ainsi lentement dans les veines du prince, rendant tout retour vers la raison impossible. Chaque mot claque, rentre dans la chair.
Emporté par l’interprétation fine des comédiens, tous pour la plupart habités – certains manquent encore d’un peu de pratique faute d’être galvanisés par le public, malheureusement interdit dans les lieux de cutlure – , on se laisse prendre et saisir par la beauté du texte, la force de cette tragédie immuable.
Sans fioriture, le président du Syndicat national des metteurs en scène (SNMS) signe un spectacle intense, qui devrait se densifier, s’épanouir dès qu’il se frottera aux spectateurs. Un bijou ciselé à découvrir, on l’espère très bientôt.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare
Artistic Théâtre
45 rue Richard Lenoir
75011 Paris
A partir du 2 octobre 2023.
Le mardi à 20h, le mercredi à 17h, le jeudi à 19h, le vendredi à 20h30,
le samedi à 17h et 20h30, le dimanche à 16h30.
Durée 2h.
Filage professionnel au Théâtre 13 Jardin
103 A, boulevard Auguste-Blanqui
75013 Paris
Tournée
Le 30 septembre 2021 au Théâtre d’Auxerre
Le 9 novembre 2021 au Carré, Scène nationale de Château Gontier
mise en scène de Guy-Pierre Couleau
Cie Des Lumières et Des Ombres (Ile-de-France)
Avec Anne Le Guernec, Nils Ohlund, Emil Abossolo M’Bo, Bruno Boulzaguet, Benjamin Jungers, Sandra Sadhardheen, Thomas Ribière & Marco Caraffa
Adaptation de Peter Brook
Texte français de Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne
Scénographie de Delphine Brouard
Costumes de Camille Pénager
Lumières de Laurent Schneegans
Crédit photos © Laurent Schneegans