De Lyon à Saint-Quentin-en-Yvelines, le metteur en scène David Gauchard prépare ses trois prochaines créations, Nu, Time to tell avec le circassien Martin Palisse et Égérie(s) avec le Quatuor Debussy. Fondateur de la Compagnie L’Unijambiste, il a accepté d’inaugurer Surexposition, une nouvelle rubrique qui plonge dans l’intimité créatrice des artistes.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Le cirque au village. Ma peur/fascination pour les clowns et les fauves.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Mon oncle Jacques, sans aucun doute. J’avais énormément d’admiration pour lui. C’était un grand fan de la culture populaire, du cinéma de Louis de Funès… Quand il était jeune, il courait les radio-crochets et rêvait d’être le nouveau Charles Aznavour et au final il aura vendu toute sa vie des fruits et légumes sur les marchés du Sud en chantant à tue-tête à qui voulait l’entendre qu’il se voyait déjà en haut de l’affiche… !
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être metteur en scène ?
Être moteur, au cœur, au centre. J’ai choisi metteur en scène, comme d’être n°10 et capitaine de l’équipe de foot de mon enfance. J’aime être en relation avec tous les corps de métier. Discuter des enjeux de la production, de la programmation, organiser la tournée, le catering, réfléchir au visuel et à la typo de l’affiche, aux actions culturelles, à la distribution des rôles, au choix des boutons de manchette, à la couleur des gélatines, kiffer l’arrivée d’un nouveau VP avec shuter intégré et noir numérique profond, ou encore la découverte d’un fameux logiciel révolutionnaire qui va changer ta life, être ému de ta première fois avec l’auteur, le traducteur, le scénographe, le compositeur, vivre l’angoisse des premières répétitions, de la rencontre avec le public, et surtout avoir la chance de raconter une histoire qui sera la somme de toutes ses histoires…
Le premier spectacle auquel vous avez participé, quel souvenir en retenez-vous ?
La poudre aux yeux d’Eugène Labiche au centre Juliobona à Lillebonne (en Seine Maritime) où j’étais souffleur. J’avais le trac pour les comédiens en scène qui n’étaient autres, en fait, que mes profs de terminale ! L’année d’après, je débutais le théâtre amateur à l’université de Rouen et j’écrivais des sketches avec des copains que l’on jouait dans certains bars.
Votre plus grand coup de cœur scénique – une pièce, une équipe, une personne, plusieurs personnes ?
The black Rider de Bob Wilson et Tom Waits, May Be de Maguy Marin, Gaudeamus de Lev Dodine, Hameltas d’Eimutas Nekrosius, Littoral de Wajdi Mouawad, La cuisine de Mladen Matéric et Peter Handke, This is how you will disappear de Gisèle Vienne, By heart de Tiago Rodriguez…parce que tout simplement soufflé !
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Sans aucun doute, celles qui sont nées à l’école, à l’Académie théâtrale de L’Union à Limoges de 1997-1999 (séquence 1). En un, capable de tout jouer – même une grenouille s’il fallait ! – , la comédienne Emmanuelle Hiron avec qui je partage depuis tout ce temps ma vie, ma fille et mon art. En deux : mon alter ego Nicolas Petisoff (assistant, comédien), que je considère comme un frère, et qui se lance aujourd’hui dans l’écriture avec sa propre compagnie, la 114 Cie. J’arrête là mon énumération car la liste serait trop longue tant ce métier provoque d’incroyables rencontres.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Sans lui, je me perds. Je trébuche. Je ne sais plus où j’habite, où je vais. Je n’ai plus de maison, plus de boussole. Je sombre, je plombe et me sens non-essentiel. Ma compagnie s’appelle L’unijambiste, l’équilibre y est une quête perpétuelle. Avec mon métier, oui, je me sens dans mes couleurs, capable de proposer le meilleur de moi-même pour les autres.
Qu’est-ce qui vous inspire
L’injustice, la lumière, la beauté, les enfants et le vin nature.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
De l’ordre de l’oreille et l’œil. Du sensible.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Les glandes lacrymales, où plus précisément mes larmes quand je vois apparaître la chose. Quand je sais que c’est là, que c’est juste et que j’ai fini. Que le spectacle appartient maintenant au génie des interprètes et à la réceptivité du public.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Très volontiers avec Daft Punk et Shakespeare, mais il semblerait que c’est déjà trop tard. J’adore collaborer, j’aime la pluridisciplinarité ou plutôt, la miscibilité. Je l’ai déjà beaucoup fait, c’est tellement vivifiant. Récemment avec l’auteur Alain Damaisio, le circassien Martin Palisse ou encore les musiciens classiques du Quatuor Debussy et j’espère le faire encore et encore. Mais au fond de moi, j’aimerais aujourd’hui travailler avec les jeunes compagnies en devenir, intervenir dans les écoles d’arts, travailler avec le futur.
A quel projet fou aimeriez-vous participé ?
Diriger un CDN ou faire, sur Mars, une mise en espace du roman À la ligne de Joseph Ponthus.
Si votre vie était une œuvre, qu’elle serait-elle ?
Une œuvre inachevée, La tapisserie de Pénélope ou les mille et une nuits. Tous les jours remettre sur le métier, avoir du cœur à l’ouvrage et raconter inlassablement nos histoires avec l’urgence vitale des essentiels.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Time to tell de David Gauchard & Martin Palisse
Résidence Les Subs novembre 2020
Nu, une idée originale de David Gauchard
Sortie de résidence en janvier au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
Crédit photos © Dan Ramaëns, © Pierre Bellec & © OFGDA