Dans le cadre des Zébrures de printemps, qui se tiennent actuellement à Limoges dans un format destiné aux professionnels et aux scolaires, Corinne Loisel, récemment nommée responsable des activités littéraires et de la Maison des auteurs·trices des Francophonies – des écritures à la scène, revient sur ses nouvelles missions et sur l’importance de maintenir cette édition spéciale afin de soutenir les écritures contemporaines francophones.
Quelle est la mission de la Maison des auteurs ?
Corinne Loisel : La Maison des auteurs·trices – nous tenons dorénavant à la mention du féminin – s’intègre totalement aux missions des Francophonies/Des écritures à la scène. Elle offre trois studios, aménagés pour être à la fois lieu de vie et de travail, ainsi que deux espaces de convivialité (bibliothèque et cuisine) pour des résidences d’écriture théâtrale. Elle y accueille des auteurs·trices francophones, de toutes générations, qui viennent commencer l’écriture d’un texte, la poursuivre ou l’achever. Nous souhaitons replacer la création au cœur du dispositif de résidence. La plupart des résidences se font en amont et en écho aux deux festivals, les Zébrures du printemps et les Zébrures d’automne. Les textes produits pendant la résidence sont ensuite présentés en lecture/mise en espace au printemps puis accompagnés « vers la scène » et programmés aux Zébrures d’automne.
A son arrivée, Hassane Kassi Kouyaté a souhaité renforcer le soutien aux autrices, ce qui est devenu l’une des missions principales de la Maison des auteurs·trices. Ceci pour plusieurs raisons : depuis sa création, en 1993, ce sont plus de 200 auteurs et autrices qui ont été accueillis en résidence, force est de constater que les auteurs ont plus particulièrement marqué l’histoire de ce lieu. Ce sont souvent les noms de Sony Labou Tansi, de Koffi Kwahulé, Kossi Effoui, Wajdi Mouawad ou plus récemment de Dieudonné Niangouna, Kouam Tawa, Guy Regis Jr ou encore Sèdjro Giovanni Houansou qui sont évoqués, entre autres. Enfin, le travail réalisé en 2019 dans le cadre des États généraux des écrivains et écrivaines de Théâtre (EGETT) a montré que les autrices de théâtre contemporain étaient moins jouées, moins récompensées, moins programmées et … moins payées. Il est donc nécessaire de faire un effort sur l’accompagnement des autrices.
Nouvellement arrivée, quelle impulsion voulez-vous donner au lieu ?
Corinne Loisel : Déjà, je souhaite rendre hommage au magnifique travail d’accompagnement des auteurs·trices qui a été réalisé, durant de longues années, par Nadine Chausse. A travers les témoignages de toutes celles et ceux qui ont été accueilli·e·s à la Maison des auteurs·trices, je me rends compte combien l’attention, l’écoute et l’accompagnement ont toujours été les maîtres mots de cette Maison et je souhaite poursuivre dans cette voie. Ensuite, nouvellement arrivée, depuis janvier 2021, ma mission s’inscrit dans le projet mis en place il y a deux ans par Hassane Kassi Kouyaté. Concrètement, deux programmes de résidence dédiées aux autrices ont été créés : « Découvertes », pour lequel les résidentes sont parrainées par un·e auteur·trice qui suit leurs premiers pas en écriture. Quant au programme « Terminer un texte », il s’agit de résidences proposées à des autrices plus avancées dans leur parcours d’écriture.
S’agissant d’impulsion nouvelle, j’espère pouvoir développer les liens entre la Maison des auteurs·trices et les partenaires territoriaux et nationaux. Certains liens existent déjà, d’autres sont à renforcer. Un pôle francophone a été créé, à Limoges (Francophonies, un bien commun), avec l’Agence livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine (ALCA), la Bibliothèque francophone multimedia de Limoges, le Rectorat / Académie de Limoges, le Théâtre de l’Union (CDN du Limousin) et l’Université de Limoges, qui ne demande qu’à vivre à travers de nouveaux projets. Je souhaite développer les partenariats en région, avec différents lieux de résidence, permettant de proposer aux auteurs·trices des résidences partagées entre plusieurs sites. Ceci existe déjà avec le Centre Intermondes et la Maison des écritures, à La Rochelle mais la région Nouvelle-Aquitaine, de par sa taille, offre d’autres possibilités de partenariats. Les Francophonies/Des écritures à la scène font également partie du pôle national de référence francophone, avec la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon et la Cité internationale des arts, à Paris qui va permettre également de créer une circulation des résident·e·s entre les trois institutions. Enfin, j’espère aussi pouvoir trouver de nouveaux financements qui permettraient d’engager des travaux de rénovation des studios, travaux qui s’imposent aujourd’hui.
Qui peut venir en résidence dans la maison et comment se passe la sélection ?
Corinne Loisel : J’ai indiqué précédemment les programmes de résidences « Découvertes » et « Terminer un texte ». Nous sélectionnons les auteurs·trices de ces programmes, en fonction de la programmation des Zébrures d’automne, des axes géographiques et priorités du festival. Pour les résidences « Découvertes », nous nous appuyons sur les propositions d’un parrain ou d’une marraine que nous choisissons.
D’autres résidences se construisent grâce à des appels à résidence, auquel nous répondons, comme les résidences « Visas pour la Création » de l’Institut français ou encore l’aide à la création en résidence de l’ALCA. Il s’agit aussi d’auteurs·trices que nous souhaitons accueillir en lien avec notre programmation.
Certaines résidences sont liées aux Prix partenaires des Francophonies, comme le Prix RFI théâtre, le Prix SACD de la dramaturgie francophone ou le Prix ETC_Caraïbes.
Enfin, nous sommes ouverts à des candidatures « spontanées », que nous sélectionnons également en lien avec nos missions et programmation, émanant d’auteurs·trices bénéficiant d’une bourse d’écriture (du CNL, par ex.)
Combien d’auteurs passent chaque année dans ce lieu ?
Corinne Loisel : Le nombre peut varier d’une année à l’autre, puisque nous inscrivons certains projets dans des appels à résidence et nous n’avons jamais la certitude que les dossiers seront acceptés. Accueillir un nombre maximum d’auteurs·trices ne fait pas partie de notre projet, il s’agit plutôt d’être en capacité d’accueillir et d’accompagner le mieux possible. Or, chaque résidence est du « sur-mesure », il faut pouvoir la préparer en amont de l’arrivée du ou de la résident·e. Pour répondre cependant à votre question, la Maison des auteurs·trices accueille en moyenne 10 résident·e·s par an, parfois un peu moins, parfois un peu plus.
Y a-t-il forcement une sortie de résidence avec lecture des textes ?
Corinne Loisel : Non, ce n’est pas un exercice obligatoire. Chaque résidence se construit au cas par cas. La fin de résidence ne coïncide pas toujours avec la fin d’écriture d’un texte. Ensuite, une lecture ou une mise en espace d’un texte est déjà une « mini production » en soi, même si elle est beaucoup plus légère qu’une création théâtrale. Elle nécessite la rencontre du texte de l’auteur·trice avec un·e metteur·e en scène, la sélection de comédien·ne·s et un temps de répétition. Tout ceci peut difficilement être mis en œuvre en même temps que la résidence qui est un temps dédié à l’écriture. C’est pourquoi a été créé le festival des Zébrures du printemps qui offre au public et professionnels de découvrir les textes sous la forme de lectures ou mises en espace.
Au cœur des Zébrures de printemps, comment faites-vous le choix des textes présentés ?
Corinne Loisel : Les dix textes d’auteurs et d’autrices reflètent la diversité géographique des écritures francophones, avec des textes du continent africain, et plus particulièrement d’Algérie, du Mali, de Guinée, d’Haïti, du Canada (Québec), de la Suisse et de France (Martinique).
Notre accompagnement de l’écriture vers la scène se reflète aussi dans cette programmation : Tafé fanga de Jeanne Diama (Mali) et Chaos de Valentine Sergo (Suisse) seront créés aux prochaines Zébrures d’automne. L’amour telle une cathédrale ensevelie de Guy Regis Jr (Haïti) et La Cargaison de Souleymane Bah (Guinée) seront créés pour celles de 2022, grâce à des coproductions des Francophonies. Les textes lauréats des Prix partenaires sont aussi pris en compte : Souleymane Bah est lauréat du Prix RFI théâtre 2020, Elle voulait ou croyait vouloir et puis tout à coup elle ne veut plus! d’Andrise Pierre (Haïti) a reçu le Prix SACD de la dramaturgie francophone 2020 et Juillet 1961 de Françoise Dô (France-Martinique) a été désigné meilleur texte francophone 2019 par le Prix ETC_Caraïbe. La programmation se construit aussi avec les textes écrits dans le cadre des résidences à la Maison des auteurs·trices, comme c’est le cas, outre le texte de Jeanne Diama de Que ton règne vienne ! de Gaëlle Bien-Aimé (résidence « Découvertes » 2019-2020).
Dans la perspective d’élargir la connaissance et la réception des textes francophones, pour différents publics, nous avons sélectionné, pour un public plus jeune, les textes Martine à la plage de Simon Boulerice et Les cinq fois où j’ai vu mon père de Guy Regis Jr, qui sont présentés dans divers établissements scolaires de Limoges et de la région. Ces lectures s’inscrivent dans le cadre du programme d’actions culturelles, autre volet très important des Francophonies et des deux festivals, du printemps et de l’automne.
Enfin, avec l’envie d’offrir au public des textes de toutes les générations, y compris d’auteurs « aînés », nous avons programmé le très beau texte de Mohamed Kacimi, Sur les pas de Kateb Yacine, accompagné par Souad Massi.
En cette période de Covid, la mission de la maison des auteurs.trices est-elle chamboulée ?
Corinne Loisel : Oui, bien sûr, car nous accueillons principalement des auteurs et autrices qui vivent hors de l’Hexagone. Au moment où je vous parle, nous sommes toujours dans l’attente de savoir si Cyril Assomo, auteur camerounais, pourra voyager pour effectuer sa résidence à la Maison des auteurs·trices, à partir du 1er avril. Il s’agit d’une résidence « Visas pour la Création » de l’Institut français qui a été pensée en partage avec la Maison des Écritures à La Rochelle et qui a déjà été reportée depuis 2020. Je n’ai pas encore la certitude que nous pourrons accueillir en juin, comme prévu, les autrices « Découvertes » 2021-2022, Bibiche Tankama N’Sel (RDC) et Nathalie Hounvo-Yekpe (Bénin). Comme toutes les institutions, nous avançons pas à pas, au fur et à mesure de l’évolution de la situation et des mesures en vigueur. Et nous nous adaptons tant que possible !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les zébrures de Printemps – Les Francophonies, Des écritures à la scène
Portrait de Corinne Loisel © Juliette Benhaim avec son aimable autorisation
Crédit photos © Christophe Péan