Au CDN de Lille, les élèves de la promotion 6 de l’École du Nord composent avec les contraintes imposées par les directives de leurs tutelles. Motivés plus que jamais, ils travaillent actuellement des scènes extraites de différentes œuvres de Shakespeare sous le regard acéré et mordant de leur professeure Cécile Garcia Fogel. Reportage.
Le mois de janvier touche à sa fin. L’hiver est bien installé sur le territoire. Vent frais, pluie glacée, ciel gris, sont nos lots quotidiens. Lille n’échappe pas à la règle. Il est onze heures du matin. Malgré les restrictions sanitaires et le temps moroses, les rues de la ville sont animées. Les soldes attirent les habitants de la métropole, qui entrent et sortent en un va et vient régulier des boutiques ouvertes. Les cafés sont fermés, toutefois certains font de la vente à emporter. Masques sur le nez, quelques clients s’attardent espérant se réchauffer d’un fumant breuvage. A deux pas du Théâtre du Nord, un petit groupe de jeunes papotent. Le couvre-feu, le besoin de se retrouver est au cœur de leur discussion. A l’instar de la population générale, ils sont inquiets sur l’avenir, sur leur envie de braver les interdits, de vivre.
Un foyer vivant, humain
Alors que les salles de spectacles sont fermées au public, la première chose qui frappe quand on pénètre dans le foyer du théâtre, c’est la vie qui émane du lieu, des personnels, des artistes. La journée vient à peine de commencer pour les quinze apprentis comédiens. Et c’est déjà l’euphorie, l’agitation. Certains, concentrés, s’isolent dans un coin, sur les marches des escaliers, afin de répéter inlassablement une tirade, un dialogue. D’autres, en profitent pour se retrouver, parler de la veille, grignoter. Tête penchée en arrière, un artiste en herbe tente d’en finir avec un saignement intempestif, tout en pensant au 33 tours qu’il rêve de s’offrir. Lucie Pollet, directrice des études à L’École du Nord, veille au grain. Elle a les yeux partout, s’enquiert de leur moral, de leurs états de stress, les rappelle parfois à l’ordre avec tendresse et autorité naturelle.
Un voyage shakespearien
En atelier quatre semaines durant avec la comédienne et metteuse en scène Cécile Garcia Fogel, le chorégraphe Philippe Jamet et le chanteur lyrique Jean-François Lombard pour la prosodie, les élèves de la promo 6 de L’école installée au cœur du Centre national d’art dramatique de Lille, s’attèlent à créer des variations autour d’extraits de 4 pièces de Shakespeare – Le Roi Lear, Hamlet, Cymbeline et Henri VI. Liant dans le jeu, textes et mouvements, chaque comédien, entouré de certains de ses camarades, doit proposer un montage de la scène qu’ils ont préalablement choisie. « Pour ce stage, explique Cécile Garcia Fogel, je me suis inspirée des Croquis de voyage, une expérience que j’avais imaginé à la demande de Christophe Rauck, pour la promo précédente et qui a été reconduite cet été. Parrainée par le journaliste Jean-Pierre Thibaudat, elle a comme principal but de confronter, les jeunes auteurs et comédiens de l’École du Nord, au monde qui les entoure, de les obliger à se dépasser, à sortir de leur zone de confort. A l’issu de 4 semaines d’itinérance en solo avec comme seul compagnon un livre, chacun a la charge de produire une petite forme inspirée de ce qu’ils ont vécu. Un voyage shakespearien se nourrit du même principe, développer chez ces artistes en herbe, une autonomie, un esthétisme, un imaginaire, une vision, un sens critique. »
Une liberté encadrée
Aux abords de la salle de répétition, située au dernier étage du bâtiment, c’est l’effervescence. Dans les couloirs, les jeunes artistes se changent, préparent leurs accessoires. Pas le temps de réfléchir, c’est une journée non-stop. Jusqu’à 18h, chacun présente sa partition devant le regard sans concession de Cécile Garcia Fogel et Philippe Jamet. Tout est scruté, analysé dans le moindre détail. Rien ne leur échappe. Derrière leurs remarques précises, parfois mordantes, se cache une volonté d’élever chacun des élèves, lui permettre de se libérer du superflu, des tics, des manies. L’important est de se laisser porter par le texte, lui donner corps et chair. Avec peu, des chaussures à talons argentés, de fausses couronnes, un vieux fauteuil roulant, les 15 comédiens se glissent dans la peau de rois, de reines, de courtisans ciselés par la plume de Shakespeare. Plus ou moins à l’aise, tous écoutent d’une oreille attentive les conseils avisés de leurs deux professeurs. Leur réactivité, leur volonté de donner le meilleur, est palpable.
Trois ans à l’ombre du Théâtre du Nord
Âgés de 22, 26 ou 30 ans, les Quinze comédien.ne.s et les trois auteur.trice.s entament la dernière ligne droite de leur cursus. « L’école du Nord, explique Lucie Pollet, est l’une des 13 écoles supérieures d’art dramatique en France permettant d’accéder à un diplôme d’État. Sa vocation, depuis sa création en 2004 par Stuart Seide, est de proposer sur trois ans une formation professionnelle supérieure aux métiers de comédien et d’auteur dramatique. Contrairement à d’autres structures, nous n’accueillons qu’une promotion à la fois. Ainsi tous les trois ans, nous recrutons sur concours les futurs élèves. Nous venons d’ailleurs de recevoir plus de mille dossiers en vue des auditions – le recrutement de la septième promotion est ouvert jusqu’au 14 février 2021 – qui auront lieu dans moins d’un mois, pour le choix de la prochaine promotion. »
Le texte à cœur
Depuis l’arrivée en 2014 de Christophe Rauck à la tête du CDN, la formation, rebaptisé pour l’occasion École du Nord, a changé de cap. En mettant le texte et les artistes au centre du projet, elle est le cœur vibrant du théâtre. « Au cours de l’année, entre deux stages, souligne la directrice des études, quand les conditions sanitaires permettent d’accueillir du public, les élèves artistes ont la possibilité d’aller au contact des spectateurs, soit en étant ouvreur et à l’occasion des sorties publiques d’ateliers. Tout est fait pour leur permettre de découvrir tous les rouages du fonctionnement d’un théâtre, de s’immerger dans le monde professionnel, dans les coulisses. » Dès 2015, un double parcours a été mis en place au sein de la promotion, réunissant dans un cursus commun comédiens et auteurs. « Il n’était pas question de les séparer, poursuit Lucie Pollet. Pour Christophe Rauck, il était évident et nécessaire de leur permettre de se côtoyer, de se familiariser avec le métier et la pratique des uns et d’autres. En s’enrichissant, en se nourrissant de ce partage, nous souhaitons leur offrir toutes les armes, toutes les complicités artistiques nécessaires pour préparer le théâtre de demain. »
Des personnalités très différentes
Répétant sans relâche, une même scène afin d’en marquer les grandes lignes, d’en polir les contours, les apprentis comédiens dévoilent différentes facettes de leur personnalité. Au centre, Adèle Choubart endosse avec détermination le rôle de Marguerite d’Anjou. C’est le personnage qu’elle a décidé de défendre dans le cadre de ce voyage shakespearien. Résolue, elle ne lâche rien. Face à elle, l’épatant Louis Albertosi joue les époux falots. Silhouette fine, il a une facilité à se mouvoir, à habiter l’espace d’un geste, d’un rien. Mimant les reporters en goguette, Paola Valentin s’amuse de sa voix grave. Simon Decobert quant à lui, joue les gros bras, les serviteurs zélés de la Reine. Tandis que le détonnant Antoine Heuillet, perché sur de hauts talons, vole la vedette à tous sans dire mot. Un peu plus loin, la longiligne Nine d’Urso imprime à ses mouvements grâce, élégance. Le ténébreux Oscar Lesage tord son corps en tous sens pour donner chair à l’abominable et pervers Richard III. Fascinant.
De la graine d’artistes
Avec Nicolas Girard-Micchelotti et Constance de Saint Remy, Noham Selcer, est actuellement en pleine écriture. Ancien professeur de maths, il a décidé à l’approche de la trentaine de changer de carrière pour être plus en phase avec ses aspirations. On ressent un je-ne-sais-quoi de vibrant, de fiévreux qui se dégage de chacun d’entre-eux. Passionnés, tous ont su grâce aux stages suivis, à l’expérience singulière des croquis de voyage, réveiller une force intérieure, un désir fou de vivre théâtre. Certains jours sont plus difficiles que d’autres, mais le feu sacré est là au plus profond de leur être. Assis dans les gradins attendant leur tour, Mathilde Auneveux, Maxime Crescini, Suzanne de Baecque, Orlène Dabadie, Joaquim Fossi, Pierre-Thomas Jourdan, Solène Petit et Rebecca Tetens ne perdent pas une miette de l’enseignement de Cécile Garcia Fogel et Philippe Jamet. Ils s’en nourrissent pour mieux appréhender demain.
Le soleil suit sa course. La nuit gagne du terrain. La journée a été dense, passionnante, laissant un goût de trop peu. Séduit par ces jeunes artistes, qui rêvent de scène, de fouler les planches, de public, date est déjà prise pour suivre leur travail, pour mieux comprendre ce qui fait la force indéniable de la prestigieuse École du Nord. En avril, les quinze comédiens participeront à un double atelier avec Pauline Bayle et Guillaume Vincent. En Mai, les textes des trois auteurs, qui ont été accompagné dans leur écriture par Claudine Galéa, seront portés au plateau et interprétés par leurs camarades comédiens.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lille
Ecole du Nord – Théâtre du Nord
Crédit photos © OFGDA