Au Monfort, en attendant la réouverture des théâtres au public, Serge Nicolaï présente, en avant-première, Sleeping, son adaptation du roman les Belles Endormies de Yasunari Kawata. Puisant dans l’esthétisme japonais très lent et hyper codifié, le metteur en scène, habitué du théâtre du Soleil, ébauche un bijou poétique, rare, qui manque encore un peu de souffle pour totalement bouleverser.
Les jours se suivent et se ressemblent en ce mois de janvier 2021. Le gris des nuages envahit le ciel. Une pluie glacée intermittente rafraichit l’atmosphère. Dans les rues de Paris, comme ailleurs, peu de gens, peu de badauds, le couvre-feu, plus la menace d’un troisième confinement, ont eu raison de nos légèretés, de notre capacité à rêver. Heureusement, il reste quelques raisons de se réjouir, dans l’ombre, artistes, techniciens, directeurs de lieu et équipe administrative des théâtres préparent l’après. Au Monfort, quelques fidèles, des programmateurs, des diffuseurs, des journalistes, sont venus découvrir la dernière création de Serge Nicolaï.
Le choc des cultures
Masque noir, cheveux roux, légèrement poivre et sel, le metteur en scène, proche d’Ariane Mnouchkine, accueille d’un mot la petite poignée de spectateurs. Malgré le contexte, la difficulté de se projeter, de présenter un travail dans des conditions moins stressantes, il est prêt à dévoiler une étape de travail, un filage de son adaptation très esthétisante des Belles Endormies de Yasunari Kawabata. Face à la pandémie qui menace le monde de toute part, Serge Nicolaï questionne à travers, le prisme de la culture japonaise, notre rapport à la mort.
Une maison de plaisir pour mourants
Dans la fable intemporelle de Yasunari Kawabata, il existe un lieu singulier, une sorte de maison close destinée aux vieillards, un endroit où il est possible de passer de vie à trépas en douceur. Fatigué, sentant ses dernières forces l’abandonner, Eguchi (excellent Yoshi Oïda) passe la porte de l’étrange établissement, prêt à d’adonner sans réserve au rituel qui le mènera aux portes de la mort. Allongé à côté d’une belle endormie, une jeune vierge qu’il ne peut posséder, juste observer, il plonge lentement dans ses souvenirs et convoque dans un bien étrange rêve tous les fantômes de ses conquêtes amoureuses. Tantôt sensuel, tantôt cauchemardesque, le songe d’une nuit l’invite à une dernière introspection, à faire le bilan d’une vie.
Par-delà la mort
Avec délicatesse et poésie, Serge Nicolaï s’empare de ce conte philosophique. Il ne cherche nullement à en dénaturer l’essence, à l’européaniser. Bien au contraire, il convie les spectateurs à se laisser porter par les courants de pensées, les réflexions propres aux âmes du pays du soleil levant. Entremêlant les langues, jouant sur un esthétisme très épuré, le metteur en scène imagine un écrin, une sorte de boîte de résonance noire où chacun peut laisser libre cours à son imagination. Sol noir brillant, deux trois accessoires, et la musique jouée en direct par Matthieu Rauchvarger, suffisent à l’illusion.
A la frontière des arts
Afin de donner corps au texte de Yasunrari Kawabata, Serge Nicolaï préfère suggérer, qu’imposer un cadre trop strict, une vision parcellaire de l’œuvre. Conjuguant théâtre et danse le tout mâtiné de l’art nô, il esquisse une série de tableaux époustouflants de beauté. Puissante visuellement, cette adaptation des Belles Endormies manque encore de corps et de souffle pour totalement séduire. Reporté sur la saison prochaine, le spectacle a tout le temps de trouver sa bonne rythmique. Déjà très prometteur, ce filage est l’occasion de voir un travail riche et précieux, celui d’une rencontre avec une autre culture, une autre vision de la société.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Sleeping de Serge Nicolaï, librement inspiré du roman Les Belles Endormies de Yasunari Kawabata
présenté en avant-première au Monfort Théâtre – création reportée à l’Automne 2021
durée 1H environ
mise en scène Serge Nicolaï assisté de Maria Vittoria Bellingeri
avec Yoshi Oida, Yumi Fujimori, Jennifer Skolovski, Carina Pousaz
adaptation et traduction Serge Nicolaï et Yumi Fujimori et Masato Matsuura
musique live de Matthieu Rauchvarger
son d’Emanuele Pontecorvo
lumière de Marco Giusti
scénographie de Clémence Kazemi
vidéographie de Sébastien Sidaner
surtitres de Dóra Kapusta
Crédit photos © Weina Venetz