En ce samedi après-midi, rue Ménilmontant, malgré le froid, Les promeneurs sont au rendez-vous. Les petits commerces font le plein. Derrière les masques, on imagine des sourires, des grimaces, quelques regards tristes, d’autres plus heureux. Face à l’église Notre-Dame-de-la-Croix, la foule se raréfie. Certains restaurants font de la vente-à-emporter, offrant aux passants la possibilité de prendre un café, un verre de vin chaud. Un peu plus loin, rue des Plâtrières, devant l’entrée des Plateaux sauvages, il n’y a plus personne.
Une sortie de résidence fragilisée par la covid
A l’intérieur de cette fabrique artistique et culturelle, seul un tout petit groupe de professionnels attend dans le foyer que la salle soit ouverte. L’auteur et metteur en scène, Guillermo Pisani, en profite pour faire un point sur l’étape de travail à laquelle nous allons assister. En raison d’un cas covid dans l’équipe, la création a pris plus de dix jours de retard. Tous les ajustements, les resserrements ne sont pas totalement calés. Quelques déplacements restent encore à fixer. Toutefois, le spectacle a besoin de se frotter à un certain public pour prendre corps.
Face au flux migratoire, l’Europe se replie sur elle-même. La peur de l’autre, de l’inconnu semble favoriser une montée des populismes. D’origine argentine, arrivé en France au début des années 2000, Guillermo Pisani s’interroge donc sur notre capacité à accueillir l’étranger, lui faire une place, l’accepter tel qu’il est et non tel qu’on aimerait qu’il soit. A travers trois récits concrets– Un homme hébergé́ chez une jeune femme, un auteur invité à un festival d’artistes en exil et une brillante biologiste qui intègre une équipe du CNRS – , l’auteur et metteur en scène oblige à questionner notre regard, et nos certitudes.
Un regard un brin satirique
Avec une douce ironie, Guillermo Pisani croque un certain nombre de situations du quotidien, où l’incapacité de se comprendre, la différence culturelle prêtes à quelques cocasseries, quelques maladresses voire malheureusement à quelques malveillances inconscientes ou volontaires. On s’amuse, on rit parfois …un peu jaune. On se plait à embrasser le beau rôle, celui de l’aidant, du compréhensif, de l’humaniste, mais on ne peut être que frapper par le manque d’empathie de certains, leur impossibilité à se réjouir de la force du brassage culturel.
Faute d’avoir pu peaufiner sa création, Guillermo Pisani s’appuie sur le jeu virtuose et la présence solaire de ses comédiens. Chacun très différents, impulse aux trois courtes pièces, son énergie. Lunaire, Caroline Arrouas est aussi à l’aise dans le rôle décalé d’une épouse délaissée totalement à la ramasse que dans celui de cheffe de laboratoire un brin aigrie rêvant de gloire. Lumineuse, Elsa Guedj est impayable en metteuse en scène un poil hautaine, parfaite en chercheuse timide, brillante et déterminée. Enfin, le ténébreux Arthur Ingual est épatant en un jeune homme mal à l’aise, détonnant en auteur rêvant de dénoncer avec humour une certaine condescendance des européens face à la migration.
Encore un peu long, Je suis perdu manque un peu de rythme, mais promet, à terme d’être un spectacle de belle facture, qui touche juste et droit.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Je suis perdu de Guillermo Pisani
Répétitions ouvertes aux professionnels les 12 et 13 février 2021
Les plateaux Sauvages
5 rue des Plâtrières
75020 Paris
Durée approximative 2h00
Reprise
7 au 23 juin 2024 au Théâtre de la Tempête
mise en scène de Guillermo Pisani
Avec Caroline Arrouas, Arthur Igual et Elsa Guedj