Au T2G, dont il est artiste associé, Adrien Béal et ses compagnons de jeu du Théâtre déplié répètent leur prochaine création, Toute la vérité. Creusant les normes éthiques et morales de nos sociétés occidentales par un travail d’improvisation, ils abordent la sexualité à travers différents prismes et différentes situations fictionnelles, questionnant ainsi la notion d’aveu, de pudeur, de honte et de liberté.
Un vent glacial souffle sur tout le territoire français. Des chutes de neiges sont annoncées pour la nuit. Aux abords du T2G, les trottoirs ont été salés pour éviter les risques de glissades intempestifs. Peu de monde dans les rues, le froid a eu raison des badauds dans le centre-ville. Dans le foyer du théâtre, deux, trois personnes accueillent les professionnels venus assister à un filage de la dernière création du Théâtre déplié, la compagnie co-animée par Adrien Béal et Fanny Descazeaux.
L’ébauche d’un foyer
Après avoir pris le grand escalier, longé la grande salle par un grand couloir non chauffé, les portes du plateau 2 avalent l’un après l’autres les quelques spectateurs. Les six comédiens sont déjà sur scène. Immobiles, regards hagards, ils semblent attendre une phrase, une parole, un incident qui changera à jamais le cours de leur vie. Dans un décor stylisé esquissant l’intérieur aseptisé d’une maison, d’un appartement, d’un cocon familial, on devine, ici un lit, là une salle à manger. Rien n’est figé, fixé, tout est prêt à être modifié, déplacé.
Des corps interactifs
Au centre, assise sur un tabouret, une jeune femme (épatante Julie Lesgages) prend la parole. Elle est tendue. Dans l’après-midi qui suit les funérailles de son grand frère, une inconnue lui a pris les mains. Ce geste déplacé, intrusif, la trouble, la questionne sur son rapport aux autres. Entouré de son mari, de son second frère et son amie, elle se sent obligé d’en parler, de se libérer de ce poids, de ce mal-être. De cette anicroche sur le toucher, le théâtre Déplié imagine toute une série de situations fictionnelles qui ont pour cadre la famille. Déclinant à travers les cinq sens des histoires singulières, ordinaires ou étranges, le collectif interroge les normes et les tabous autour de la sexualité. Toute vérité est-elle bonne à dire ?
L’impro comme matière première
Au sein du théâtre déplié, le travail d’improvisation est central. Que la compagnie s’empare de textes – comme pour Pas de Bême – , ou crée un spectacle directement issu du travail mené au plateau par les comédiens – comme pour Perdu connaissance – , Adrien Béal se nourrit pour orchestrer l’ensemble du jeu et des propositions de ses compagnons. Modulable, parfois fragile, la matière se frotte au public. Elle cherche le meilleur angle d’attaque pour toucher, émouvoir ou choquer. C’est toute la force et la faiblesse de ce théâtre très naturaliste. Tout tient dans la performance des acteurs, leur capacité à capter l’attention, à faire oublier le quatrième mur. Et clairement, Caroline Darchen, Pierre Devérines, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Etienne Parc et Cyril Texier ont cette force, ce pouvoir de nous faire totalement basculer dans leur monde, d’être les témoins privilégiés de leurs intimes conversations.
Une création en rodage
Tout n’est pas encore ajusté. Des placements, des situations restent encore à polir, à moduler pour être plus percutantes, plus mordantes, mais l’essentiel est déjà là. Entre rires, larmes, cocasseries et effrois, Adrien Béal bouge les lignes, oblige chacun à revoir ses limites morales, ses normes. Sans jugement, il espère convier le futur public à ouvrir les yeux, à voir autrement l’indicible, à repenser sa propre intimité, son rapport à la sexualité, à l’autre.
Toute la vérité est une œuvre en devenir plein de promessses. Elle devrait dès que cela sera possible toucher, on l’espère un large auditoire.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Toute la vérité – Création collective
T2G – Théâtre de Gennevilliers
41 Av. des Grésillons
92230 Gennevilliers
Durée 1h30
Mise en scène d’Adrien Béal assisté de Fanny Gayard
Collaboration, production – Fanny Descazeaux
Avec Caroline Darchen, Pierre Devérines, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Etienne Parc et Cyril Texier
Dramaturgie d’Yann Richard
Scénographie d’Anouk Dell’Aiera
Costumes de Mariane Delayre
Lumières de Jean-Gabriel Valot
Son et régie générale de Martin Massier
Collaboration, production de Fanny Descazeaux
Musique de François Merville
Crédit photos © martin Argyroglo