Faute de pouvoir se tenir avec un public, la 4e édition de Trajectoires, festival de danse, se joue portes closes. L’Objectif affiché de l’opération est claire : favoriser l’avenir en permettant à quelques professionnels, quelques programmateurs de découvrir des créations, mais aussi des spectacles que la covid a stoppés trop tôt. Une journée sous le ciel pluvieux de Nantes.
Comme le dit si bien Barbara, « il pleut sur Nantes », mais loin de nous rendre le cœur chagrin, la tenue, malgré la pandémie et les restrictions sanitaires, du festival Trajectoires, lancé il y a quatre ans à l’initiative d’Ambra Senatore, directrice depuis 2016 du Centre chorégraphique national de Nantes, réchauffe les âmes esseulées et assombries de quelques professionnels. Tout n’est pas perdu, le futur se prépare. En raison de la fermeture prolongée au public des lieux de culture, la programmation – 23 spectacles de danse durant 15 jours, dans près de 20 lieux de la métropole nantaise et du département de Loire-Atlantique – a été largement revue et corrigée autour des 6 créations, temps forts de la manifestation initialement prévue.
Une balade à pas pressés
Pour accéder à la Maison des arts de Saint-Herblain, située dans la banlieue ouest de Nantes, il faut prendre un tram. Tout le long du parcours, le gris du ciel se confond avec celui des façades. La ville est morose en cet après-midi de janvier. Les gens se pressent. Impossible de flâner, de se balader, de se laisser séduire par la belle architecture des maisons cossues des anciens armateurs, des négriers, le couvre-feu à 18 heures oblige à rationaliser son temps. Au pas de courses, hommes, femmes, enfants se pressent, sans regarder alentour. Au loin, une structure de bronze doré apparait. C’est notre point de chute. Accueillant dess enfants pour des activités culturelles, l’endroit, qui respecte à la lettre les restrictions sanitaires, ne semble pas connaître la crise. C’est joyeux, vivant.
Portrait(s) de femme(s)
Non loin de l’escalier habillé d’énorme crayons de couleurs, un petit nombre de programmateurs, de diffuseurs, de journalistes attendent de rentrer en salle. Au programme de cette première journée particulière, trois histoires de femmes. Dans Après Alien, Pauline tremblay se raconte à travers la célèbre quadrilogie de science-fiction, qui a fait de Sigourney Weaver, une icône. Marion Uguen invoque dans une danse transcendantale impulsée par sa méthode C.O.A ses ancêtres amphibiens. Enfin, l’artiste polonaise Ola Maciejewska revisite la fameuse Dancing dresse de Loïe Fuller.
Une héroïne, une soldate
Suspendue à un câble, Pauline Tremblay apparait par flash. Le corps flottant, elle se rapproche dangereusement de la salle. Figure féminine dans une tenue de pilote militaire, qui gomme les courbes de son corps, elle est Ripley, dernier espoir pour sauver l’humanité. S’inspirant de l’ouvrage d’Olivia Rosenthal, Toutes les femmes sont des aliens (éditions Verticales, 2016), la chorégraphe, performeuse et danseuse, formée au Conservatoire National de Région de Nantes en danse classique et contemporaine, revisite l’héroïne d’Alien pour mieux parler de la place de la femme dans nos sociétés et surligner le regard encore et toujours très suspicieux que porte le monde sur la gente féminine, cet être en qui on ne peut avoir confiance. Enchaînant les parallèles avec sa vie, les choix stratégiques de la femme soldate, elle construit son argumentaire féministe entre danse, acrobatie et théâtre. Le futur de l’humanité n’est-il pas intrinsèquement lié aux mutations, aux transformations profondes initiées par les femmes, ces aliens en puissance ?
Les grenouilles pour mieux se ressourcer à la terre
Regard clair, Marion Uguen scrute chaque arrivant dans la salle. Un sourire, un geste, elle prend le temps d’installer une connivence avec son public. Il faut dire que le moment est d’importance, la jeune femme s’apprête à révéler à un petit comité les fondements de la méthode C.O.A., une technique essentielle pour se recentrer, de voir différemment le monde inquiétant qui l’entoure. Clown à ses heures, fine observatrice de nos sociétés contemporaines, la chorégraphe, danseuse, performeuse et autrice, signe un conte décalé entre conférence scientifique et délire granguignolesque. Elle saute et virevolte dans le seul but de révéler la petite grenouille qui se cache en son sein. Aux mots qui se percutent, se conjuguent et s’électrisent, les mouvements viennent ajouter à l’ensemble une dimension follement poétique qui grise et donne la pêche. Concluant son spectacle ovniesque, un brin politique, par une danse tribale, la jeune femme renoue avec la terre, sort de sa coquille et bondit telle une magnifique amphibienne, enfin heureuse.
Les oniriques mouvements de Loïe Fuller
Autre style, autre salle, Ola Maciejewska invite au Lieu insolite à plonger dans l’univers hypnotique de Loïe Fuller, l’une des pionnières de la danse moderne. Dans un espace tendu de blanc, la jeune femme vêtue de noir, baskets vertes aux pieds, entre un tissu jaune dans une main, un noir dans l’autre. Elle s’avance dans le silence. Visage concentré, elle couche au sol les étoffes, en ajuste les plis. Consciencieusement, méthodiquement, elle transforme le textile en un rond parfait. S’appliquant à reproduire les gestes de l’américaine, afin de montrer a quel point le geste peu ciseler une matière, elle s’empare de l’étole pour en faire une robe fluide, ondulante, virevoltante. Le temps s’arrête. Ola ne fait plus qu’un avec Loïe, la danse serpentine renaît sous nos yeux. C’est tout simplement beau et grâce à la technologie, le spectacle est diffusé en streaming, accessible par tous.
Tombée de la nuit
La journée s’achève. Elle fut dense, passionnante, éclectique, à l’image de la programmation du festival. Demain est un autre jour, d’autres artistes présenteront leur œuvre, telle Ambra Sanatore, Marlene Montero Freitas ou Elisa Lecuru. Seule, l’installation Pater du vidéaste Bastien Capela, est visible les trois jours de la manifestation au Lieu Unique. S’inspirant de la vidéo de la fusillade qui a eu lieu à l’ambassade d’Irak à Paris, le 31 juillet 1978, qui a coûté la vie à son père, le jour de ses deux ans, il invite à un travail sur le corps, celui de Hugo Dayot, sur le mouvement. Une œuvre immersive, prenante, onirique, un hommage sensible à celui qui n’est plus. Dans l’attente de la réouverture des lieux dédiés à la culture, la vie continue, les spectacles se créent, se jouent à huis clos dans l’espoir de (re)naître un jour prochain. Un beau geste, qui peut paraître vain, qui en dit long sur l’instinct de survie d’un monde, mis au placard.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Trajectoires, festival de Danse à l’initiative du Centre chorégraphique national de Nantes
du 20 au 22 janvier 2021 dans un édition resserrée uniquement ouvert aux professionnels en raison des restrictions sanitaires
Après Alien de et avec Pauline Tremblay – Maison des Arts de Saint-Herblain
Créé en collaboration avec Pierre Stadelmann, Aude Rabillon et Elsa Ménard
D’après une adaptation de «Toutes les femmes sont des Aliens» d’Olivia Rosenthal
La méthode C.O.A. – Maison des Arts de Saint-Herblain
Conception, interprétation – Marion Uguen
Conseils dramaturgiques – Anna Schmutz
Coaching vocal – Myriam Djemour
Prise de son – Teddy Degouys
Loïe Fuller : Research – Le Lieu Unique
spectacle proposé en streaming
Conception d’Ola Maciejewska
Collaboration artistique – Judith Schoneveld
Costumes de Jolanta Maciejewska
Pater – Le lieu unique
Conception / Vidéo de Bastien Capela
Collaboration Chorégraphique de Carole Vergne
Création sonore de Christophe Sartori / Bastien Capela
Avec Hugo Dayot
Crédit photos © DR, © Pierre Stadelmann, © Jessica Servieres, © Cosimo Terlizzi, © Baptiste Capela