Chamboulée par le reconfinement et la fermeture des salles de spectacle, la dernière création du jeune prodige Simon Falguières, qui a vu le jour en décembre à La colline -théâtre national, se joue en petit comité au Théâtre du Nord, dont il est artiste associé. Œuvre délicate d’un dramaturge poète, Les Etoiles est un voyage tumultueux dans l’inconscient mélancolique d’un jeune homme trop fragile pour affronter la réalité sombre du monde.
Le ciel est d’un bleu pâle. Les grand-rues de Lille sont en pleine effervescence en cet après-midi de janvier. Devant la grande roue, installée place Charles De Gaulle, juste en face du théâtre du Nord, une foule de badauds se promène rêvant à d’autres temps, plus propices, moins soucieux. Dans le hall du centre dramatique national, les élèves de l’École attendent de pouvoir entrer dans la salle et découvrir la dernière œuvre de Simon Falguières. En raison des restrictions sanitaires, une petite poignée d’amis, quelques professionnels, ont été conviés à se joindre eux. L’important pour l’artiste et pour la direction du lieu est de donner vie à cette pièce, victime collatérale de la Covid.
Un rêve éveillé au cœur de l’inconscient
Tout commence le jour du décès de la mère du jeune Ezra (fiévreux Charlie Fabert), une excentrique fille du nord (troublante Agnès Sourdillon) qui a su séduire un gars du sud (fomidable John Arnold). La perte de ce pilier de la famille, rayonnant et chaleureux, va tout chambouler, tout briser. L’adolescent contemplatif, un peu lunaire, perd sa faconde, sa capacité à poétiser et s’enferme dans un état léthargique peuplé d’étranges créatures, un rêve éveillé que rien ne semble pouvoir interrompre. Inquiets, ne sachant comme guérir ce mal obscur, insondable, son oncle, un grand dadais un brin introverti (épatant Stanislas Perrin), son père et sa petite amie (lumineuse Pia Lagrange), toujours au petit soin pour lui, continuent à vivre bon an mal an, à se confronter au monde que lui a décidé de fuir.
Le sensible à cœur
Naviguant en permanence entre rêve et réalité, Simon Falguières insuffle à son texte, paru en décembre chez Acte Sud, une délicatesse onirique qui effleure nos cordes sensibles. Passant en revue les sentiments humains, ceux qui réchauffent les âmes perdues, isolées, abandonnées, il invite à une parenthèse enchantée où la mélancolie se conjugue joliment, intensément, avec l’euphorie de la vie. Éclairant le chemin comateux d’Ezra vers la lumière, deux divinités, l’une onirique, l’autre plus prosaïque, plus clownesque (impayable Mathilde Charbonneaux), font de l’épopée irréelle du jeune homme un voyage savoureux et poétique en utopie. Spectrale, le fantôme de la mère, de son amour inconditionnel, s’estompe tendrement, imperceptiblement pour permettre à l’enfant de renaître, de se reconnecter aux autres, à la vie.
Un parcours initiatique et philosophique
Entremêlant humour et poésie, Simon Falguières propose non une pièce de théâtre, mais bien une épique balade dans un ailleurs plein de fantasmes et de songes. Penseur, rêveur, il laisse transparaître un peu de lui-même en filigrane dans chaque mot, chaque image. S’appuyant sur la magnifique scénographie mobile d’Emmanuel Clolus, le jeune metteur en scène offre au spectateur un moment d’évasion où les mythes et les contes viennent enjoliver le quotidien, un espace de réflexion où tout est possible. Philosophant sur le monde, sa trivialité, il entrouvre la porte vers un imaginaire foisonnant, prolifique, un brin suranné.
Une faconde exaltée
Aimant les mots, les belles tournures, le jeune auteur débride sa plume, quitte à parfois déborder, se laisser aller à quelques embardées un peu trop fourmillantes. Certains le regretteront, estimant qu’il faut resserrer, ciseler de-ci, de-là, mais c’est dans cette richesse, cette abondance, ce lâcher-prise que Simon Falguières creuse son cocon, toute la beauté troublante et fascinante de son œuvre.
Par ces temps gris, incertains, rêver est un luxe à chérir, un cadeau des cieux. Avec Les étoiles, portées par une troupe de comédiens habités et vibrants, le jeune prodige, dont Le Nid de cendres repéré par Wajdi Maouwad devrait être repris au cours du printemps 2021, offre un met délectable, une gourmandise succulente que le public devrait pouvoir déguster au plus vite, dès la réouverture des théâtres.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lille
Les Etoiles de Simon Falguières- texte publié aux Editions Actes Sud
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris.
Du 6 janvier au 5 février 2023.
Du mardi au samedi à 20h, dimanche 16h.
Durée Durée 2h.
Création à La Colline – Théâtre National le 15 décembre 2020
Représentations exceptionnelles à huis clos au Théâtre du Nord
Tournée
du 28 au 30 janvier 2021 au Le Tangram – Scène nationale Évreux Louviers
Le 2 février 2021 au Piaf – Théâtre de Bernay
le 5 février 2021à L’Éclat – Théâtre de Pont-Audemer
du 9 au 13 février 2021 au CDN de Normandie – Rouen
du 9 au 13 février 2021 au Préau CDN de Vire
Mise en scène de Simon Falguières assisté d’Edouard Eftimakis
Avec John Arnold, Agnès Sourdillon, Mathilde Charbonneaux, Charlie Fabert, Pia Lagrange, Stanislas Perrin
Scénographie d’Emmanuel Clolus
Lumières de Léandre Gans
Son de Valentin Portron
Costumes de Lucile Charvet assistée de Léa Bordin
accessoires – Alice Delarue
création film d’Emmanuel Falguières
régie générale de Clémentine Bollée
Crédit photos © Simon Gosselin