A la filature de Mulhouse, en raison des restrictions sanitaires, le festival Les Vagamondes passe au numérique. Ne pouvant présenter Itmahrag, sa dernière création, le chorégraphe Olivier Dubois proposait, vendredi 29 janvier 2021 au soir, de se laisser porter en streaming par la fougue rageuse, la fièvre festive de la jeunesse égyptienne. Retour sur une feu d’artifices de beats, de fureur de vivre !
Une pluie froide, éparse, tombe sur les rues dépeuplées de Mulhouse. Il est dix-huit heures, le couvre-feu vient de retentir. Longeant les canaux, les bassins aménagés au XIXe siècle, à l’époque de l’apogée de la ville, la balade vers la Scène nationale, traversant quartiers résidentiels, bordant quelques barres d’immeubles, donne un avant-goût du tissu social et cosmopolite de cette cité phare qui a connu son heure de gloire lors de la Révolution industrielle. Sa place stratégique, au carrefour de l’Europe, est, de tout temps, son plus bel atour.
Un paquebot dans la cité
Face à un miroir d’eau, La Filature, bâtiment réalisé en 1993 par Claude Vasconi sur le site d’une ancienne fabrique de coton, dresse sa haute stature de béton et de verre. Le foyer éclairé, rappelle que le lieu, bien que fermé au public, continue à exister, à palpiter, à vibrer, à faire que les artistes puissent encore et toujours se donner en spectacle. En entrant par l’arrière de ce Paquebot architectural, toute l’ampleur, la grandeur, l’espace consacré à l’art, se dévoile. Écrin gris, riche de trois salles, d’une médiathèque, d’une galerie d’art, et bientôt on l’espère d’un restaurant – un des défis de Benoît André, nouveau directeur du lieu -, la bâtisse se rêve lieu de vie destiné à tous.
Un festival tout numérique
Hérité de l’ancienne direction, Les Vagamondes est une manifestation tournée vers l’extérieur, vers d’autres cultures. Depuis huit ans, l’évènement propose de découvrir des artistes de tout horizon, ayant jusqu’ici pour point commun d’être ancrés au sud. Un point que Benoît André espère faire évoluer dans les années à venir vers les artistes qui s’attachent à supprimer les frontières. Dans ce cadre, il a invité le chorégraphe colmarien Olivier Dubois à présenter, en clôture de ces dix jours consacrés à l’art, sa dernière création Itmahrag.
Une œuvre chamboulée par la Covid
De reports en annulation, Itmahrag voit enfin, en cette fin janvier, le jour à huis clos et en version numérique. Après une résidence au Centquatre à Paris puis au théâtre Bernardette Lafont à Nîmes, Olivier Dubois a réussi à réunir sur un même plateau les sept jeunes artistes égyptiens qui composent ce grand cri perçant, déchirant à la vie. Possédant un appartement au Caire, où il se rend souvent, le chorégraphe d’Auguri ou de Tropismes aime se fondre dans la foule, s’inviter aux fêtes de mariages, se laisser emporter par le tourbillon festif des traditions, écouter le pouls d’une société en mal et en rage de vivre. Au fil de ses voyages, il a pris le temps d’écouter, de découvrir les courants artistiques qui agitent la jeune création égyptienne dont fait partie le Mahraganat ou électro chaâbi. Il s’en est nourri, abreuvé tant et tellement, que l’idée lui est venue d’en faire le point de départ d’un spectacle.
Sept jeunes égyptiens dans le vent
De rencontres en casting, grâce notamment à la jeune structure égyptienne B’sarya for Arts, partenaire du projet, Olivier Dubois parcourt l’Égypte, se frotte à ses musiciens électro, ses chanteurs et danseurs qui s’approprient rap et « break dance ». Il chérit cette énergie, cette fougue, ce regard qui conjugue tradition et avenir. Brimée par des années de totalitarisme, la jeunesse, qui a grandi au bord du Nil, rêve d’un autre monde, d’un autre pays, d’un autre futur. Audacieuse, irrévérencieuse, elle est la voie d’une toute autre Égypte, celle d’aujourd’hui, de demain. Sur scène, les trois chanteurs – Ali elCaptin, ibrahim X, Shobra Elgeneral – et les quatre performeurs – Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed Toto – s’en donnent à cœur joie et c’est beau à voir cette vitalité exaltée, cette impatience d’en découdre, de montrer au monde un autre visage de leur pays, d’enfin s’exprimer sur une scène et plus dans les rues.
Un feu de joie en quête de propos
Les beats à fond, les éclairages aveuglants, la musique pulse, vibre dans l’enceinte de la Filature. Elle emporte tout sur son passage. Les voix graves donnant à la langue arabe toute sa beauté poétique, toute sa rugosité gutturale. Rappelant les partitions du film de Fatih Akin, Crossing of the bridge, où le réalisateur turc invitait le spectateur à découvrir les différents courant de musiques stambouliotes entre tradition et techno, ou plus récemment le très beau concert limougeaud du groupe N3rdistan, les airs imaginés par François Caffenne, en collaboration étroite avec les trois chanteurs, font vibrer la salle, donnent aux spectateurs assis dans les gradins ,une petite poignée- où devant leur écran une furieuse envie de taper des pieds, de battre la mesure, de les rejoindre sur scène et de danser. Encore en rodage, le spectacle manque encore un peu de cohésion, de propos. L’énergie de ces jeunes ne demandent qu’à être canalisée.
La révolte à cœur
Abordant la vie, la mort, l’histoire d’un pays de l’antiquité à nos jours, Ithmahrag – néologisme pour dire « festoyons » – esquisse le portrait d’une génération enragée, impétueuse, qui a soif d’exister, de liberté. Les tableaux s’enchaînent vivifiants, énergiques, laissant entrevoir les restes d’une révolution qui a mis fin au règne de Moubarak, à ouvert la voie vers une certaine démocratie. On est touché par ces jeunes qui hier encore ne s’imaginaient même pas quitter leur pays, monter sur scène. Tout est là pour faire de ce show éléctro, une fête à la vie, à l’avenir. Encore quelques resserrages de-ci de-là, quelques recadrages pour en ciseler la matière brute, lui donner une densité, et Olivier Dubois aura réussi son pari faire danser l’Égypte à travers le monde, faire entendre ce chant de la rébellion .
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Mulhouse
Itmahrag d’Olivier Dubois
Générale captée à la Filature, scène nationale de Mulhouse
Durée 1h15
Tournée
Le 4 février 2021 à La Scène conventionnée de Limoges
Le 18 février 2021 à La Maison de la Culture d’Amiens
Du 27 février au 2 mars 2021 au CentQuatre, Paris
Du 17 au 2O mars 2021 à Chaillot – Théâtre national de la danse
Les 23 et 24 mars 2021 à La Coursive, La Rochelle
Le 21 mai 2021 à One Dance Week Festival, Plovdiv, Bulgarie
Le 25 mai 2021 au Tangram, Evreux
Le 27 mai 2021 Théâtre Paul Eluard de Bezons
Le 29 mai 2021 à l’Espace Germinal, Fosses
Du 1er au 3 juin 2021 à La Biennale de la danse de Lyon 2021
Les 12 et 13 juillet 2021 au JuliDans Festival, Amsterdam
Du 16 au 18 juillet 2021 au Festival d’Eté à Paris
Le 1er 2021 octobre aux Halles de Schaerbeek, Bruxelles
Les 5 et 6 octobre 2021 au RomaEuropa Festival, Rome
Octobre 2021 au DCAF Festival, 1ère en Egypte
Novembre 2021 au festival Euro-scene Leipzig, Allemagne
direction artistique & chorégraphie d’Olivier Dubois
avec Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed Toto
musique live, chant d’Ali elCaptin, ibrahim X, Shobra Elgeneral
direction musicale de François Caffenne
composition musicale de François Caffenne &Ali elCaptin
assistant artistique – Cyril Accorsi
régie générale de François Michaudel
lumières d’Emmanuel Gary
scénographie d’Olivier Dubois &Paf atelier.
Crédit photos © François Stemmer