Au théâtre du Gymnase à Marseille, François Cervantes revisite l’histoire du lieu depuis sa création à nos jours, à travers des anecdotes, des parcours croisés, quelques bluettes et deux, trois numéros de cabaret. L’ancrant au cœur de la vie du quartier, il célèbre l’art vivant, lui redonne une place essentielle et nécessaire dans le quotidien. Une bouffée d’oxygène en pleine maturation en ces temps de crises.
Le ciel est gris. Il tire sur le noir. Une pluie froide, continue rend le monumental escalier de la gare Saint-Charles et les trottoirs marseillais glissants. En ce vendredi après-midi, quelques badauds lèchent les vitrines, des clients de bar prennent une bière, un café à emporter. Tant bien que mal, le quartier populaire de la Cannebière survit. Devant le théâtre du Gymnase, on est loin de la foule des grands jours. Quelques personnes attendent l’ouverture de la salle. Construit dans l’enceinte de l’ancienne chapelle du Couvent des Lyonnaises, Religieuses de l’ordre de Saint François, en partie détruit pendant la Révolution, le lieu a connu mille événements, mille anecdotes. C’est cette matière vivante que François Cervantes a décidé d’interroger, de creuser.
Le théâtre, c’est la vie
A quoi tient la vie d’un théâtre, poumon social d’une ville ? A presque rien, un instant de magie, une émotion vive ressentie. Deux amoureux sont surpris par un violent orage. Ils se réfugient dans une salle de spectacle, le bonheur les envahit, l’instant de grâce qui suit la représentation à laquelle ils assistent, va changer le cours de l’histoire. Celle du couple en devenant parents, mais aussi, des années plus tard, celle du bâtiment qui est menacé de fermeture, de destruction. D’un rien, d’un incident, d’un épiphénomène, le metteur en scène, qui a installé depuis 2004 sa compagnie à la Friche de la Belle de Mai, plonge dans le mémoire du théâtre et invite à un voyage plein de poésie à travers le temps.
Une pièce, cent histoires
Face aux spectateurs, peu nombreux afin de respecter les conditions sanitaires en vigueur et les règles établies par la préfecture et la mairie permettant la tenue exceptionnelle de ces filages destinés aux professionnels, les six comédiens préviennent le récit qui va nous être conté ne contient aucune histoire, juste une série de rencontres humaines. Très vite, la magie opère.
Attrapé par le « flow » des mots, on s’immisce, en témoin privilégié, dans le quotidien d’une ville étroitement liée à la vie du théâtre implanté en son sein. De l’enfant abandonné par ses parents à un cousin taxi, à une belle architecte libanaise venue rénover un quartier de la ville, d’un danseur revenu en cachette dans sa ville natale à la femme battue, de la jeune fille négligée par sa mère qui se retrouve)enceinte à 16 ans , au patron du café d’en face, c’est tout une cité qui grouille, s’agite, tout un monde qui s’invente sous nos yeux.
Amoureux fou de l’art vivant
De bric et de broc, de joie et de peine, ces existences malmenées, secouées, chavirées, ne tiennent bon que par la proximité, le réconfort que leur apporte la présence de ce lieu d’émotion, de culture et de vie qu’est le théâtre. Magiciens de carton, clowns célestes, enchanteurs d’oiseaux, travesti, grandes dames de la chanson, tout un bestiaire d’artistes défilent devant nos yeux. Emporté par le sac et le ressac mémoriel de François Cervantes, on vibre, on rêve, on se perd parfois. Véritable ode à l’art vivant, Le Cabaret des absents emprunte les chemins mille fois parcourus d’un certain classicisme. C’est un voyage poétique en nostalgie, au cœur de l’essence même de l’art dramatique, du spectacle. La performance n’est pas dans la forme mais bien dans le talent des comédiens, leur virtuosité à habiter le lieu et les personnages.
Une troupe poignante
L’aventure est chorale, chacun son moment de gloire, sa partition à défendre. Siman Mouradian, corps musculeux, envoûte en cygne danseur. Louise Chevillotte se glisse dans la peau d’une autre dame en noir, tout aussi hypnotique que Barbara. Théo Chédeville a des faux airs d’un Einstein dompteur de volatile. Sélim Zahrani est magnifiquement tragique quand il interprète en fourreau à paillettes, « comme ils disent » d’Aznavour. Avec son accent typiquement marseillais, Emmanuel Dariès fait chanter les mots. Enfin, Cheveux longs, roux, gracile, Catherine Germain, qui nous avait un temps fait vibrer dans le Rouge éternel des coquelicots, il y a deux étés à Avignon, emmène derrière elle tous les autres. Elle est tout simplement extraordinaire.
Un écho au moment présent
La représentation s’achève. Le temps reprend son cours. Chacun repart dans sa vie, dans son monde, mais François Cervantes a touché une fibre. En faisant écho à la triste réalité, un monde sans théâtre, il signe un spectacle profondément humain et onirique. Bien sûr, ce n’est qu’un filage, une étape de travail. L’artiste en est conscient. L’œuvre pour s’épanouir a besoin de se frotter au public, de se polir aux rires, aux ressentis d’une salle pleine. Dans quelques mois, cela devrait être possible. Le spectacle prendra son envol, à vous de le saisir.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Marseille
Le Cabaret des absents de François Cervantes – Cie L’Entreprise
filage à destination des professionnels au Théâtre du Gymnase, marseille
Tournée
le 29 janvier 2021 au Théâtre de Grasse
le 11 février 2021 au Carré, Scène nationale de Château-Gontier
le 25 février 2021 au Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul
du 2 au 5 mars 2021 à la MC2 – Grenoble
le 9 mars 2021 à La Garance, Scène nationale de Cavaillon
Juillet : Le 11 – Avignon
Mise en scène de François Cervantes
avec Théo Chédeville, Louise Chevillotte, Emmanuel Dariès, Catherine Germain, Sipan Mouradian & Sélim Zahrani
Création son et régie générale de Xavier Brousse
Création lumière de Pierre jacot-Descombes
Régie lumière de Bertrand Mazoyer
Création costumes, masques et perruquesde Virginie Breger
Construction de Cyril Moulinié
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage – avec son aimable autorisation