Après 10 jours en résidence au théâtre-Cinéma de Choisy-le-Roi, Laurent Hatat présente à quelques professionnels son adaptation très contemporaine du dernier volet de la trilogie de Beaumarchais. Peaufinant sa mise en scène, l’artiste, en lice pour diriger la Comédie de Béthune, interroge ainsi le rapport aux autres et le poids des secrets dans nos sociétés contemporaines. Une comédie de mœurs aux petits oignons.
Temps gris, pluie fine, la région parisienne semble bien morose en ce mercredi après-midi de janvier. A quelques encablures de la capitale, à un jet de RER, le Théâtre-Cinéma de Choisy-le-Roi, Scène Conventionnée d’intérêt national – Art et création pour la diversité linguistique, ouvre le temps de trois représentations exceptionnelles ses portes. Heureux de pouvoir montrer sa dernière création, Laurent Hatat n’en oublie pas moins les règles sanitaires en vigueur – gel hydro-alcoolique dès l’entrée, masque obligatoire et distanciation entre les personnes – , qu’il tient à rappeler aux quelques invités présents avant qu’ils ne pénètrent dans la salle.
L’autre Tartuffe
Chez les Almaviva, les folles journées se suivent, mais ne se ressemblent pas. Vingt ans ont passé depuis que Figaro (épatant Azeddine Benamara) a épousé la pétulante Suzanne (détonnante Kenza Laala). Toujours au service du Comte (imposant Pierre Martot) et des siens (emphatique Emma Gustafsson, pétillante Anne Duverneuil et fougueux Mathias Zakhar) le couple, qui ne cesse de se disputer pour mieux s’aimer, tentent de dénouer les intrigues d’un certain Monsieur Bégearss (Olivier Balazuc sibyllin à souhait). Ami de la famille, un brin moraliste et faussement vertueux, ce Tartuffe moderne sème le trouble et la zizanie pour mieux s’accaparer la fortune de ses hôtes ainsi que la trop charmante fille naturelle du Comte.
Secrets et manipulations
Habile courtisan et grand manipulateur, Monsieur Bégearss se sert des secrets des uns et des autres – enfants naturels, amours cachés, tromperies et égarements – pour mieux assujettir et tromper la maisonnée. Il faudra tout le talent de Figaro et de sa donzelle pour parer aux coups tordus et restaurer le calme dans un foyer bien trop abîmé par les non-dits, les fautes non avouées, les sentiments tus. En adroit metteur en scène, Laurent Hatat se sert des quiproquos et des revirements de situations pour transposer cette tragicomédie baroque en conte moderne. Aidé par l’auteur Thomas Piasecki, il donne un coup de frais au texte de Beaumarchais, sans en dénaturer l’essence et le propos.
Jeu de langues
Porté par l’énergie de la troupe, Olivier Balazuc, Azeddine Benamara et Kenza Laala en tête, Laurent Hatat s’amuse en entremêlant les langues. Passant de l’arabe à l’espagnol, de l’anglais au français, il insuffle à la pièce une dimension humaine et intemporelle, qui renforce ingénieusement la complicité entre certains personnages tout en donnant à d’autres une force tragique. L’effet fonctionne à merveille. L’auditoire se laisse prendre au jeu, d’autant que les comédiens s’en donnent à cœur joie. On peut regretter de-ci de-là, une interprétation forcée, une gestuelle trop appuyée. Ce serait omettre un détail d’importance dans ce contexte sanitaire si particulier : le spectacle, bien que déjà ciselé, est encore en devenir.
Il est à gager que cette Mère coupable, une fois frottée au public, touche juste et rappelle à chacun, la force destructrice des secrets, le pouvoir salvateur des fautes. Une comédie enlevée qu’on aura plaisir à voir et revoir dès que les théâtres pourront rouvrir leurs portes.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La mère coupable d’après Pierre Augustin Caron de Beaumarchais
Création sans public au Théâtre-Cinéma de Choisy-le-Roi, le 12 janvier 2021
durée 2h00 environ
Tournée
Les 2 et 3 février 2021 au Bateau Feu —Scène nationale de Dunkerque
Le 2 mars 2021 au Escher Theater, Luxembourg
Les 8 et 9 avril 2021 au DSN —Scène nationale de Dieppe
Adaptation de Laurent Hatat et Thomas Piasecki
Mise en scène de Laurent Hatat
Avec Olivier Balazuc, Azeddine Benamara, Anne Duverneuil, Emma Gustafsson, Kenza Laala, Pierre Martot, Mathias Zakhar
Régie générale – Roméo Rebiere
Lumière d’Anna Sauvage
Univers sonore de Julien Tortora
Costumes d’Isabelle Deffin
Production anima motrix
Crédit photos © Alain Hatat