Face au repli des sociétés contemporaines sur elles-mêmes, Julien bouffier a proposé à l’auteure québécoise, Marie-Claude Verdier, d’imaginer une tragédie contemporaine autour d’Antigone, emblème mythique de la résistance contre l’oppression du pouvoir. Scindé en deux épisodes indépendants, Andy’s gone plonge le (futur) spectateur au cœur du sempiternel combat entre raison d’État et humanisme.
Un froid sec, glacial, a envahi les rues de la Capitale. Depuis l’annonce du couvre-feu à 18h, la ville est devenue frénétique. Les gens, visages de plus en plus sombres derrière le masque, se pressent, espérant pouvoir tout faire dans un temps réduit. La morosité ambiante due au contexte sanitaire semble avoir atteint une autre nuance de gris. Au cœur du XIIIe arrondissement, à l’emplacement même de la maison Où j’ai fait mes premiers pas, détruite depuis longtemps, le Théâtre Dunois propose à quelques professionnels de découvrir le diptyque de la cie Adesso e sempre, Andy’s Gone. Ce projet immersif s’inscrit dans le dispositif du Conseil départemental de l’Hérault « Collèges en tournée ».
Au cœur du drame
Dans le foyer du théâtre, chacun des spectateurs, une dizaine tout au plus – 80 en temps normal – , est équipé d’un casque audio. Afin de captiver l’auditoire, de secouer les consciences, de stimuler l’esprit critique de chacun, Julien Bouffier a imaginé une performance théâtrale où scène et salle sont confondues, où le public fait partie intégrante de l’œuvre. Assis par terre sur le plateau, il ne fait qu’un avec le peuple d’une cité imaginaire dirigée de main(s) de fer par la Reine Régine (éblouissante Vanessa Liautey). Au cœur de la nuit, une sirène résonne. La voix envoûtante de la souveraine exhorte tous les citoyens à se rendre au plus vite dans les abris souterrains, une catastrophe est imminente, un drame a eu lieu. Des forces féroces, obscures menacent les murs de la ville. Henri, le prince héritier, est mort.
Combat de femmes, combat d’idées
Dans l’obscurité, deux femmes se font face, s’opposent, se déchirent. Toutes deux pleurent la perte l’une d’un fils fantasmé, l’autre d’un cousin chéri. L’une s’accroche à ses prérogatives, l’autre, la jeune Allisson (exaltée Manon Petitpretz) laisser aller sa rage. Duel de mots, d’idées, la raison d’État, la cohérence de la cité prime pour Régine. La désobéissance civile, la fraternité l’emporte dans le cœur de l’adolescente rebelle. Pot de fer contre pot de terre, la lutte est inégale. La radicalité d’une jeunesse rêvant d’un monde meilleur, plus humain se fracasse contre la compromission des adultes, plus enclins à sauver les meubles d’une société qui se délite inexorablement.
La résurrection du fils prodige
Morte pour ses idées, Allison n’est plus qu’une voix lointaine. Recraché des entrailles d’une terre devenue stérile, à trop avoir été exploitée, le fils rebelle revient en vengeur masqué hanté les dernières forces d’une Reine exsangue. Enfermée dans ses idéaux, elle se meurt asphyxiée par le mur qu’elle a elle-même construit pour se protéger de l’extérieur, de la peur de l’autre, de l’étranger, de l’inconnu. Seule la voix enchanteresse, mélodieuse de l’imposteur, de ce fils mort réincarné, pourrait enrayer l’inéluctable repli, la fin prochaine d’une civilisation qui a refusé de s’ouvrir aux autres.
Une mise en scène immersive
Destinés aux collégiens, Andy’s Gone 1 & 2 proposent à travers une revisite de la confrontation entre Créon et Antigone, une réflexion sur le monde d’aujourd’hui, sur cette Europe qui ferme ses frontières aux migrants par crainte, qui, telle l’autruche, enfouit la tête dans le sable espérant passer à travers les gouttes d’une catastrophe climatique, écologique imminente. Adaptant le texte lucide que Marie-Claude Verdier a écrit pour sa compagnie, Julien Bouffier convie les jeunes spectateurs à plonger au cœur même de ce conte d’anticipation. Grâce à l’équipement sonore, à la présence palpable des comédiens, qui naviguent entre les spectateurs, il signe un diptyque troublant, vibrant et terriblement humain, une œuvre très rock, très punk parfaitement adaptée au public ado.
Artistes engagés
Le jeu ciselé des trois comédiens – royale autant que fragile Vanessa Liautey, impétueuse Manon Patipretz et habité Maxime Lélue, – que souligne finement les ambiances sonores, est l’un des atouts de ce spectacle. Il permet à chacun de s’immerger dans l’histoire, de faire partie intégrante du récit. A l’étroit sur la scène d’un théâtre, Andy’s Gone 1 & 2 méritent d’être joué en extérieur à la nuit tombée, de se frotter à un lieu chargé d’histoire, aux pierres jaunies d’antiques ruines. En attendant de reprendre sa route et de pouvoir retrouver un public de tout âge, le spectacle se polit lentement, se fignole délicatement. Une performance qui demande de lâcher prise avec le quotidien pour mieux interroger l’avenir.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Andy’s Gone 1 & 2 de Marie-Claude Verdier
Pièces présentées à Huis-clos au Théâtre Dunois
Tournée d’ Andy’s gone
les 26 et 28 janvier 2021 au Kiasma – Castelnau le Lez (34) annulé
les 16 et 19 février 2021 à la Scène Nationale Le Tangram – Evreux
les 02 avril et 03 avril 2021 à La Manekine– Pont Ste Maxence (60)
les 17 et 22 mai 2020 à Scène Nationale l’Estive – Foix (09)
Tournée d’Andy’s Gone 2, La Faille
les 27 et 28 janvier 2021 au Kiasma – Castelnau le Lez (34) annulé
le 09 février à la Cité Scolaire Françoise Combes – Montpellier (34)
du 17 au 22 mai 2021 à la Scène Nationale l’Estive – Foix (09)
Mise en scène de Julien Bouffier – Cie Adesso e sempre
Avec Vanessa Kiautey, Manon Petitpretz et Maxime Lélue
Musique de Jean-Christophe Sirven
Crédit photos © Marc Ginot