Au théâtre de Chelles, Home de Magrit Coulon ouvre le bal d’un festival impatience 2020 à huis clos. En s’intéressant à la vie de nos ainés, la toute jeune metteuse en scène franco-allemande signe une chronique tendre et un brin absurde du très grand âge. Un premier spectacle drôle et attachant, qui révèle le don d’observation d’une artiste à suivre.
Un grand soleil brille dans le ciel parisien. A quelques encablures de la capitale, le Théâtre de Chelles sort de sa torpeur hivernale en ouvrant ses portes au jury du Festival Impatience, présidé cette année par la comédienne Rachida Brakni et à quelques professionnels. En ce premier week-end consacré aux artistes émergents, qui avait consacré l’an passé, Les Femmes de Barbe Bleue de Lisa Guez, la manifestation, lancée, il y a maintenant 12 ans par le magazine Télérama®, la jeune metteuse en scène Magrit Coulon présente Home, une première œuvre déclinée de son travail de fin d’étude à l’Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion (Insas) de Belgique.
Au pays des seniors
Sol blanc aseptisé, table en formica d’un autre temps, vieux fauteuil dont le tissu à fleurs est usé jusqu’à la corde, plantes vertes en plastique, le décor est planté. Tout rappelle une salle commune d’EPHAD, impersonnelle et sans âme. Devant une fenêtre, un homme debout, corps tremblotant, semble regarder au loin. Ailleurs une femme, visage crispé, doigts tremblants, est attablée. Une autre, très concentrée sur chacun de ses pas, entreprend, dans un effort presque surhumain, de traverser la pièce En s’appuyant sur un déambulateur. Tous attendant à leur manière que le temps s’écoule avec une lenteur intolérable, rien ne venant éclairer ces interminables après-midi, donner un peu de piment au rythme étiré de leur journée.
Un silence assourdissant
Livrés à eux-mêmes dans un lieu qui, à l’image de leur corps, de leur santé, se dégrade inexorablement, nos trois petits vieux ressassent quelques souvenirs à haute voix, tentent de lutter contre l’ennui en prenant la mesure de l’effort qu’ils doivent fournir pour le moindre geste du quotidien. Chaque accomplissement, comme s’asseoir ou ouvrir une bouteille de jus de pomme, est une victoire contre la déchéance, contre la vie qui file entre leurs doigts. Se raclant la gorge, émettant des sons avec leur bouche, ils tendent de lutter contre la solitude, contre le silence qui enveloppe leurs derniers jours. L’un chante, l’autre rêve de retourner chez elle, de quitter ce mouroir, avant de s’apercevoir que sa maison, n’est plus, elle a été vendue.
Tendre regard
Se nourrissant de ses visites au sein d’une maison de retraite d’Ixelles, Magrit Coulon a construit un spectacle qui se situe entre le documentaire et un épisode du magazine Strip-tease. Avec bienveillance et tendresse, elle croque la vie des séniors. Jamais méchamment, toujours avec amour, Elle s’amuse de gestes, de phrases toutes faites, se moque des petits riens de leur quotidien, de leurs manies désuètes, saugrenues. Ciselant parfaitement sa mise en scène, elle plonge le spectateur au plus près des petits plaisirs, de la détresse de nos ainés en fin de vie que l’on relègue trop souvent hors du monde, dans des établissements spécialisés. Sans juger, elle livre de son regard neuf un état de fait, une décrépitude organisée par nos sociétés nombrilistes.
Un jeu au cordeau
Home ne serait pas un spectacle immersif troublant et dérangeant, s’il n’était porté par trois jeunes comédiens virtuoses. Jusque dans le moindre détail d’un claquement de dents, d’une lèvre chevrotante, d’un regard complice, Carole Adolff, Anaïs Aouat et Tom Geels se glissent dans la peau de nos trois vieillards, que des voix off animent. Aidés par Natacha Nicora, ils se sont appliqués minutieusement à refaire chaque geste. Le mimétisme est tel qu’il en est impressionnant, leur jeunesse apparente s’effaçant devant les corps courbés par le poids des ans de leur personnage.
Un instant T qui interroge nos sociétés contemporaines
Respectueuse autant que gentiment irrévérencieuse, Magrit Coulon signe une première œuvre humaine, très réaliste, qui touche sans pour autant plomber. On peut chercher un sens, un propos à Home, mais est-ce nécessaire ? Tout est dit, en quelques saynètes qui s’étirent à l’envi, en quelques mots, dans un monde qui vit trop vite, il faut réduire la voilure, dépasser l’individualisme, et chérir tant qu’il est temps nos anciens.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Home (Morceaux de nature en ruine) de Magrit Coulon
Festival Impatience 2020
représentations exceptionnelles réservées aux professionnels au Théâtre de Chelles
Mise en scène de Magrit Coulon
avec Carole Adolff, Anaïs Aouat, Tom Geels
dramaturgie de Bogdan Kikena
collaboration au travail physique – Natacha Nicora
son d’Olmo Missaglia
lumière d’Elsa Chêne
scénographie d’Irma Morin
Crédit photos © Margot Briand