En confiant à Anne Alvaro le rôle-titre de la plus célébre pièce de Shakespeare, Gérard Watkins signe un spectacle rock et jazzy qui oscille entre tragédie et comédie burlesque. Actuellement en création au TnBA de Bordeaux fermé au public en raison des directives gouvernementales, le comédien et metteur en scène peaufine sa copie en attendant la réouverture des théâtres.
En ce mois de janvier gris, un froid glacial s’est abattu sur la capitale de la Gaule aquitaine. Rues dessertes, arbres squelettiques dénudés de leurs feuilles, portes closes, murs antiques, le quartier de la Sainte-Croix, au cœur duquel est installé le TnBA, semble en ce jour d’hiver, avoir des faux airs de plaines danoises, d’avant-garde d’Elseneur. S’il ne faisait jour, on pourrait imaginer croiser aux détours d’une église, d’un café, le fantôme du défunt roi, père d’Hamlet.
Une création à huis clos
Dans les coulisses de la Salle Vitez, les techniciens s’affairent, les comédiens se préparent. Il ne reste plus que quelques minutes avant de monter sur scène et de jouer pour la première fois devant un public restreint de professionnels et d’employés du théâtre, Hamlet. La pièce aurait dû être créée, il y a de cela quelques jours, le 5 exactement. Les aléas de la pandémie et les règlementations gouvernementales de plus en plus contestées par un secteur à l’agonie, en ont décidé autrement. Toutefois Gérard Watkins, le metteur en scène, a souhaité présenter son travail et ouvrir la générale.
La légende d’une vengeance
L’armée de Norvège menace les frontières danoises, affaiblies par la mort prématurée du Roi Hamlet. En convolant en justes noces avec la Reine Gertrude (facétieuse Julie Denisse) sa belle-sœur, remise de son veuvage en moins de deux mois, Claudius (détonnant Gérard Watkins) a pris le pouvoir reléguant son neveu Hamlet fils (troublante Anne Alvaro) au rôle de pantin. Tout à ses agapes, à ses joyeuses épousailles, le monarque auto-proclamé n’a cure de la guerre, seul son plaisir semble guider ses choix. La nuit sur le chemin de ronde, un spectre en armure dorée, ressemblant fort au défunt souverain, défie sa toute nouvelle autorité. Il réclame vengeance en révélant au jeune Hamlet, son empoissonnement par son propre frère, jaloux de sa trop grande félicité.
Un Hamlet au féminin
Amer, trainant sa peine, sa rancœur et ruminant ses représailles contre un oncle fratricide et incestueux, Hamlet ourdit son plan. Rageur, Indolent autant qu’implacable, le prince est happé par la folie, celle des innocents bafoués. Prêtant sa voix rauque si singulière, sa présence hiératique au jeune homme, Anne Alvaro offre au personnage une densité noire, une puissance mature. Humour froid, pince sans rire, elle est la victime consentante, lucide d’un oncle assassin. De la race des meurtriers, elle accepte sa mort sans broncher et entraine avec elle dans la tombe tous les conspirateurs, les comploteurs. Magnifique, tragiquement comique, la comédienne est un Hamlet délicieusement décalé, terriblement spectral.
Un parti pris burlesque
S’attachant à montrer le grotesque du récit, Gérard Walkins creuse la veine du granguignolesque, de la pitrerie. Chantant et jouant de la guitare, égrenant les notes jazz et rock, il transpose la tragique histoire d’Hamlet au temps béni et festif de Belle Époque. Loin de perdre sa force, la pièce dévoile ses atours tragicomiques. Portés par une troupe de comédiens excellents dans l’art de la pantomime et la traduction très personnelle du metteur en scène, cet Hamlet tire sur la farce triste, le drame clownesque quitte à tomber parfois dans le « too much » hystérique.
De petits anicroches que le temps devrait patiner, polir, afin de donner à cette version très habitée et intime de la plus fameuse œuvre de Shakespeare tout son éclat crépusculaire.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux
Hamlet de William Shakespeare
Création à huis-clos au TnBA en janvier 2021
3 Place Pierre Renaudel
33800 Bordeaux
durée 3h05
Tournée
Du 14 janvier au 14 février 2021 au Théâtre de la Tempête (sous réserve)
les 21 et 22 avril 2021 à la Comédie de Caen
Traduction et mise en scène de Gérard Watkins assisté de Lucie Epicureo et Lola Roy
Avec Anne Alvaro, Solène Arbel, Salomé Ayache, Gaël Baron, Mama Bouras, Julie Denisse, Basile Duchmann, David Gouhier, Fabien Orcier et Gérard Watkins
Lumières d’Anne Vaglio
Régie lumière de Juliette Besançon
Scénographie de François Gauthier-Lafaye assisté de Clément Vriet
Régie générale de Nicolas Guellier et François Gauthier-Lafaye
Son de François Vatin
Costumes de Lucie Durand assistée de Zoé Le Liboux et de Camille Barbaza
Couturière – Gwenn Tillenon
Crédit photos © Pierre Planchenault, © Gérard Watkins et © DR