A l’abri du Préau, le théâtre rayonne dans le bocage normand. Le confinement ayant enrayé la programmation de novembre, l’équipe du Centre National de Normandie-Vire a eu l’excellente initiative de faire venir, dans le respect des conditions sanitaires, quelques journalistes afin que ses créations, privées de spectateurs, soient vues.
Quand l’attachée de presse m’a proposée ce périple dans les bocages normands, qui ce jeudi 26 novembre, allaient nous amener à assister à trois spectacles dans la même journée, j’ai un peu hésité. Même si depuis le début de ce nouveau confinement le théâtre me manque, trois d’un coup cela faisait beaucoup ! Ce qui a pesé dans la balance était l’idée de découvrir un théâtre et son rayonnement régional. Le Préau est une structure culturelle implantée sur la commune nouvelle de Vire, mais également sur les trois départements du Calvados, de La Manche et de l’Orne. Ce qui fait que ce CDN n’est pas seulement un lieu, mais « aussi un territoire », un Pôle National de Ressource du spectacle vivant en milieu rural (PNR). Comme, cette fois-ci, il était possible de répéter durant le confinement, le Préau a accueilli comme prévu les spectacles en résidence sur cette période, permettant ainsi aux artistes de continuer créer.
Un duo d’enfer
Nous arrivons à Domfront-en-Poiraie pour assister à la nouvelle pièce écrite par Céline Milliat Baumgartner, qui fait partie du LAB du Préau, un « dispositif de fabrique théâtrale, qui permet de donner du temps de recherche, de rencontre et de réflexion à des artistes ». Ce qui fait que même si elle n’est pas une artiste associée du Préau, elle fait partie de la famille. Après des semaines de création en résidence, Marylin, ma grand-mère et moi, aurait dû être présenté le 25 novembre à Domfront, puis le 26 à Condé-sur-Vire et enfin les 27 et 28 au Préau. Quatre dates à sa sortie de résidence, c’est une belle aubaine qui permet le peaufinage, malheureusement brisé par le confinement. Le jour de la première, seule l’équipe du théâtre était conviée. Notre venue, lui permet d’avoir une deuxième représentation. Nous nous installons dans la salle. La metteuse en scène, Valérie Lesort nous dit de son plus beau sourire, cachant son trac, combien cela « leur fait chaud au cœur de pouvoir nous montrer leur travail ».
Les fantômes familiers
Ce nouvel opus fait écho à son magnifique monologue Les bijoux de pacotille qui, lorsque nous l’avions vu, au Rond-Point en 2018, nous avait bouleversé. C’est fois-ci, Céline Milliat Baumgartner fait revivre le fantôme de sa grand-mère et le met en miroir avec Marylin Monroe, « mythe planétaire ». Car toutes deux, à leur façon, ont côtoyé la folie, ont souffert des hommes et de leur amour, ont vu leurs rêves et espoirs se fracasser, l’une abandonnera ses filles, l’autre n’aura jamais d’enfant. Et entre ces deux figures imposantes, il y a la jeune fille qui doit apprendre à vivre. Tout comme pour « Les bijoux », le texte est bouleversant. Tel un fil d’Ariane, on suit les trois histoires sans jamais se perdre, en suivant le fil rouge qui est la condition de la femme, sa construction et destruction. La mise en scène de Valérie Lesort, qui signe également la scénographie, est d’une grande poésie, mais aussi d’une inventivité réjouissante. Une armoire normande dont chaque ouverture de portes propose un lieu de jeu exceptionnel dans lequel Céline Milliat Baumgartner et le musicien Manuel Peskine déploient leur talent et nous régalent. Ce « Marylin, ma grand-mère et moi » est un petit bijou ciselé avec finesse et beaucoup tendresse.
A la guerre comme à la guerre
Direction Montchauvet où nous attendent le metteur en scène Jean-Christophe Cochard et le comédien Jean-Yves Ruf. Leur spectacle, « J’ai saigné » de Balise Cendras, a rencontré par deux fois le confinement. Annulé la saison dernière, il ne verra pas non plus le jour en décembre comme prévu. Mais cette fois-ci, l’équipe a pu commencer le travail en résidence dans les collèges de Val-de-Vire et de Sourdeval, où ils ont animé des ateliers, et dans la salle des fêtes de Montchauvet où ils nous accueillent. Comme ils sont encore en répétition, Jean-Yves Ruf a choisi de nous montrer qu’un bout du spectacle, la première partie.
Une première étape de travail
Sur la scène, le décor est planté, une chambre d’un hôpital désaffecté et fantomatique. Jean-Yves Ruf va à travers les mots de Cendras nous plonger dans la boucherie de 14-18. L’auteur-narrateur vient d’être amputé de sa main et doit être transféré à l’arrière pour sa convalescence dans un hospice religieux de Châlons-sur-Marne. C’est ce terrible périple que Ruf nous fait entendre dans une précision de jeuX? subtile et intense. Lorsqu’il s’arrête, nous restons sur notre faim tant nous étions partis avec lui sur les chemins de maux de Cendras. Ils nous résument les autres parties, nous expliquent comment et pourquoi le choix de ce texte qui porte sur des sujets tels que « la guérison, comment on soigne et prend soin des autres. Des thèmes qui parlent aujourd’hui ! ». Ce spectacle est une petite forme destinée à tournée dans des lieux qui ne sont pas nécessairement des théâtres. Le spectacle sera reprogrammé en 2021 car il est important que les collégiens avec lesquels ils ont travaillé, puissent voir le projet terminé.
Une co-écriture au cœur du terroir
Direction Vire, au Lycée Marie Curie, qui possède une bien belle salle de spectacle, pour assister à la présentation d’Au-delà du premier kilomètre, pièce écrite et mis en scène par Julie Ménard et Adrien Cornaggia qui appartiennent au collectif d’auteurs Traverse, associé au Préau. Dans l’esprit de la mission qui est « d’avoir une présence sur le terrain, d’aller vers le public et lui proposer un spectacle qui parle de lui. » Les deux jeunes auteurs ont interrogé certains habitants sur leur vie, leurs espérances, leurs regrets, leurs joies.
Les sentiments en ligne de mire
Ce soir, ils nous présentent la petite forme qui se nomme Première constellation. Le résultat est un spectacle en forme de kaléidoscope sur les sentiments qui nous relient les uns aux autres. Si le propos se perd un peu dans un dédale d’histoires inégales, il demeure que la mise en scène, débordante de trouvailles et de dynamisme, a capté notre intérêt, toute comme l’excellente prestation pleine de malices et d’émotions de Nadja Bourgeois et Baptiste Mayoraz, comédiens permanents au Préau.
Des adolescents en question
En parallèle de ce projet, il y a eu tout un travail en ateliers avec les adolescents qui se sont interrogés sur ce qu’est la vie d’un ado à Vire, ont demandé à des adultes ce que c’était d’être un ado à leur époque. Ce travail a été terminé la veille du confinement et sera présenté dans le cadre du Festival à Vif en mai, comme le spectacle auquel nous venons d’assister.
Une visite du préau par l’hôtesse des lieux
Sébastien Juillard, directeur adjoint du théâtre, nous fait découvrir le Préau, sa scène impressionnante qui vient d’être dotée d’un système acoustique exceptionnel qu’aucun autre lieu ne possède encore. Enfin délivrée de ses obligations qui l’avaient empêché d’être avec nous dès le début, Lucie Berelowitsch, metteuse en scène et directrice du Préau, nous rejoint. Après avoir fait les présentations, raconté notre journée bien chargée, évoqué les spectacles et donné nos impressions, nous parlons du Préau, de sa mission et du confinement. « Il était important de continuer en tant que service de première nécessité », c’est pour cette raison qu’avec son équipe ils ont permis la continuité des créations, des résidences, des réplétions et des ateliers. « Il était important que le théâtre reste vivant, que les artistes puissent y répéter et y créer ».
Un tout jeune CDN
Nommée en janvier 2019 à la tête du Préau qui venait de devenir un CDN, Lucie Berelowitsch, comme beaucoup de nouveau directeur, a dû faire face à quelques tensions avec l’équipe en place, qui, à ce jour sont apaisées. Son souhait est de « perpétuer l’accompagnement des écritures contemporaines et les résidences d’auteurs, de s’adresser à un public large, en mettant l’accent sur des formes et des propositions participatives, des rendez-vous, des enquêtes, au théâtre comme sur le territoire, afin d’aller au-devant des habitants pour les convaincre d’ouvrir les portes du théâtre. » Après deux confinements, elle est fière de tout ce qui a été mis en place pour maintenir le lien avec les spectateurs avec des propositions qui ont séduit. « Car en cette période particulière l’art et la poésie peuvent nous aider à vivre, à rêver, à résister ».
Reportage de Marie-Céline Nivière
Le Préau – Centre Dramatique national de Normandie-Vire
1 Place Castel, 14500 Vire
Marylin, ma grand-mère et moi proposé et écrit par Céline Milliat Baumgartner
Mise en scène, scénographie de Valérie Lesort
Avec Céline Milliat Baumgartner et Manuel Peskine
Lumières Jérémie Perrin
Production déléguée Le Préau – Centre dramatique national de Normandie-Vire
J’ai saigné, Récit d’un renaissance de Blaise Cendars
Théâtre en itinérance
Mise en scène de Jean-Christophe Cochard
avec Jean-Yves Ruf
Durée 1h15
Au-delà du premier kilomètre de et mise en scène d’Adrien Cornaggia et Julie Ménard (du collectif Traverse associé au Préau)
Avec Najda Bourgeois & Baptiste Mayoraz (comédiens permanents)
CRÉATION 2020
Le Préau
Crédit photos © Manuel Peskine et © DR