Au CDN d’Orléans, fermé en raison des restrictions sanitaires, Julie Delille, lauréate du festival Impatience 2018, cisèle sa dernière création, Seul ce qui brûle de Christiane Singer, une adaptation d’une des nouvelles de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre. Au plus près du concept des sentiments, la jeune metteuse en scène livre une œuvre dense, aride autant qu’intense.
En ce jeudi de décembre, le temps tourne au gris. Une pluie froide s’abat sur les rues d’Orléans. Au CDN, vide de public, Julie Delille et son équipe répètent et peaufinent la pièce Seul ce qui brûle, qu’ils auraient dû être présentee si la pandémie n’en avait pas décidé autrement. Un café, quelques viennoiseries, attendent les quelques professionnels venus assister au dernier filage avant que le spectacle ne parte en tournée. Les conversations vont bon train, tous espèrent une réouverture des théâtres au 15 décembre prochain.
Au temps des troubadours
Dans la salle Antoine Vitez, plongée dans une semi-pénombre, chacun s’installe à très bonne distance. Sur scène, un homme assis (Laurent Desponds, épatant colosse aux pieds d’argile), regard dans le lointain, semble plongé dans ses sombres pensées. C’est un grand seigneur, un de ces chevaliers des temps anciens pour qui l’honneur est le bien le plus précieux. Couvert d’une peau de bête, il suit le fil de ses souvenirs, parcourt la carte du Tendre et conte ses féroces et passionnées amours.
La violence des sentiments
En visite chez un de ses vassaux, le fier et ténébreux Sigismund tombe littéralement sous le charme de la pure Albe (évaporée Lyn Thibault). C’est le coup de foudre. Il l’épouse. Un lien unique, fort les unit. A l’ombre des hautes tours du château, leur amour grandit. Il cède à toutes ses lubies, ses foucades de jeune fille, lui offre la compagnie d’un jeune page. Naïve, ingénue, elle se laisse emporter par les jeux enfantins et dangereux de séduction. L’irréparable se produit. Bafoué, le preux chevalier imagine la pire des vengeances, priver sa dulcinée de liberté, de féminité, d’existence presque en l’assujettissant à un bien sordide rituel, boire chaque jour dans le crâne de son prétendu amant. Mais tant que la braise de la passion couve sous les cendres, tout n’est peut-être pas perdu ?
Un conte d’amour
En adaptant l’une des 72 nouvelles de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Christiane Singer invite à un voyage à travers le temps, à l’époque de l’amour courtois, des damoiselles, des sombres suzerains. Empruntant la belle langue surannée des ménestrels, elle signe un roman incandescent, où les sentiments dévorent l’âme, brûlent les sens. De cette matière ardente qui questionne la place de la femme dans la société autant que le pouvoir patriarcal de l’homme, Julie Delille, qui nous avait enchanté avec son premier spectacle Je suis la bête, imagine une litanie à deux voix qui se succèdent, la première vibrante, la seconde plus raisonnée, plus intérieure. Dans un jeu de clair-obscur parfaitement ciselé signé Elsa Revol, le masculin et le féminin se conjuguent et s’entremêlent en une violente et troublante ivresse.
Un ténébreux songe
Dans un décor fait de tentures sombres, d’escaliers de bois, Laurent Desponds et Lyn Thibault se cherchent, se perdent, se retrouvent en un étrange ballet à la fois funeste et lumineux. Épurant sa mise à scène jusqu’à l’os, Julie Delille s’affranchit de toute théâtralité. Les présences ombreuse de Laurent Desponds et évanescente de Lyn Thibault suffisent à faire vivre les mots, les gestes de ces deux amants destinés malgré, toutes les chausse-trappes, toutes les embûches, à être uni pour l’éternité.
Saisi par la beauté des tableaux entre ombre et lumière, on se laisserait presque à rêver aux mots de Lamartine « Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours ! » Avec Seul ce qui brûle, Julie Delille signe un spectacle délicat et étiré, qui devrait au fil des représentations trouver son rythme et prendre un bien bel envol.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Orléans
Seul ce qui brûle d’après le roman de Christiane Singer publié chez Albin Michel (2006)
Résidence au CDN d’Orléans / Centre-Val de Loire
Boulevard Pierre Ségelle
45000 ORLÉANS
Durée 1h30 environ
Tournée
du 15 au 16 décembre 2020 au Théâtre de l’Union / Centre Dramatique National du Limousin, Limoges.
du 6 au 7 janvier 2021 à l‘Equinoxe / Scène nationale de Châteauroux
du 19 au 21 janvier 2021 au Théâtre Olympia / Centre Dramatique National de Tours
juin 2021 au Printemps des Comédiens, Montpellier
Mise en scène de Julie Delille assistée d’Alix Fournier-Pittaluga
Adaptation Chantal de la Coste & Julie Delille
Avec Laurent Desponds, Lyn Thibault
Scénographie et costumes de Chantal de la Coste
Création lumière d’Elsa Revol
Création sonore de Julien Lepreux
Décors Ateliers de construction Maison de la Culture / Scène nationale de Bourges
Assistante à la mise en scène Alix Fournier-Pittaluga
Crédit photos © Yannick Pirot