Inclassable à l’esprit mordant, Iakovos Pappas, musicien spécialisé dans la musique baroque et directeur artistique de l’ensemble Almazis, invite dans un CD et un livret à (re)découvrir les Sonates en trio du claveciniste Charles François Clément, ainsi que la nature inventive et audacieuse de sa musique née juste avant la Révolution. Une œuvre à lire et écouter sans modération.
Dehors la tempête Bella souffle. Les rafales de vent font vaciller les branches des arbres. La pluie trempe le bitume parisien. Rien d’autre à faire que s’enfermer dans son douillet cocon, un bon livre à la main et un excellent disque tournant sur la platine. Avec Sonates en trio de Charles François Clément, album édité par le label indépendant Maguelone®, Iakovos Pappas et son complice au violon Augustin Lusson comble vos désirs grand siècle, régalent vos ouïes de rondeaux, de couplets allegros et vous invitent à une réflexion sur notre propension à enfermer la musique classique et baroque dans des carcans par trop rigides.
Claveciniste et compositeur
Mort juste avant la Révolution française, Charles François Clément a d’abord été professeur de clavecin à Paris avant de se lancer dans la composition de cantatilles, de sonates et d’opéras. S’inspirant des musiques de son temps, profondément admiratif du travail de Rameau, l’artiste considère le clavecin comme un instrument qui compte pour deux voix. De cette assertion qui sert d’appui à son écriture, il s’amuse, nourrit son imagination débordante. Véritable expérimentateur, il enrichit le style rocaille d’une pointe de malice, d’une profondeur raffinée. Volubile autant que dense, ses compositions, toutes droites sorties de son laboratoire musical, touchent par leur rondeur, leur audace.
Une version intégrale de ses sonates
Parues en 1743, Sonates en trio n’avaient jamais été jusqu’à ce jour publiées dans leurs versions intégrales. C’est donc une première mondiale qu’offre Iakovos Pappas à un public averti autant que néophyte. La verve de son clavecin, l’élégance du violon convient à un voyage enchanté à travers le temps. Il suffit de fermer les yeux et de se laisser porter par les notes, les enchaînements pleins d’ardeur que nos deux interprètes prennent plaisir à jouer avec une belle allégresse. Sans fioriture, le directeur artistique de l’ensemble Almazis et Augustin Lusson donnent vie à cette partition oubliée, cette œuvre qu’on a plaisir à découvrir.
Un regard acéré sans concession
En spécialiste de la musique baroque, Iakovos Pappas profite de cet ouvrage pour questionner la place de l’œuvre de Charles François Clément au regard des penseurs d’aujourd’hui pétris de certitudes. Il égratigne, mord avec humour, jamais gratuitement toujours avec forces et arguments. La plume sophistiquée, les tournures surannées, s’envolent laissant quelque peu, les plus néophytes sur le carreau. Toutefois, on se prend au jeu. On aime cette façon unique de ruer dans les brancards, de ne jamais se laisser dicter sa conduite. Esprit libre et frondeur, le claveciniste n’a pas dit son dernier mot et continue à faire entendre sa voix et ses notes avec justesse, intelligence, érudition et fracas.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Sonates en trio de Charles-François CLÉMENT (1720 – 1789)
Iakovos Pappas, clavecin / Augustin Lusson, violon
Editions Maguelone, 2019
6 Sonates en trio, 1743
durée : 1h10.
Notice livret : essai “Considérations sur la légitimité de l’autorité critique et son usurpation” par Iakovos Pappas
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