Au Phare, centre chorégraphique national du Havre Normandie, Emmanuelle Vo-Dinh, directrice du lieu, prépare sa prochaine création. S’emparant de l’écriture du norvégien Tarjei Vesaas, elle imagine un voyage initiatique au cœur d’un monde gelé, immaculé. Reportage dans les coulisses d’un songe.
Le vent souffle bien fort dans les rues redessinées par l’architecte belge Auguste Perret. Sur le front de mer, les vagues submergent la digue, enveloppent la jetée d’un manteau aquatique. La tempête gronde, emportant l’écume vers de lointains horizons. A deux pas des anciens docks, dans un bâtiment entièrement réhabilité par la ville du Havre en 1997, se dresse Le Phare, centre chorégraphique national dédié aux écritures chorégraphiques contemporaines.
Un lieu chaleureux
Covid et confinement oblige, c’est avec toutes les précautions d’usages – masques, distanciation physique et gel hydroalcoolique – que l’on pénètre dans l’édifice, fermé au public. Dans le hall d’accueil vide, la directrice déléguée, Solenne Racapé joue les hôtesses. Elle présente, en quelques mots, le lieu, profite du calme apparent pour une visite impromptue du plateau, de la très lumineuse salle de répétition de mur de béton brut et des locaux administratifs. Dans un grand bureau calme, éclairé par une belle verrière, des boissons chaudes et quelques agapes ont été préparées, histoire de nous faire agréablement patienter avant le début de la représentation.
Un filage pour l’avenir
Au rez-de-chaussée, Emmanuelle Vo-Dinh prend le temps d’encourager ses équipes, de donner les dernières recommandations pour cet ultime filage avant la création du spectacle en janvier prochain au Festival Pouce ! L’ambiance est calme, détendue. Le moral est bon. En accord avec les recommandations du Premier ministre, qui a encouragé les artistes à préparer demain, la chorégraphe présente devant quelques professionnels son travail, en vue d’une programmation la saison prochaine. « C’est un soulagement de pouvoir jouer, confie-t-elle, même si c’est devant un public très réduit. Dans le climat actuel, l’incertitude qui touche notre milieu, nous nous préparons, nous affinons le spectacle, le polissons. Entremêlant plusieurs disciplines, vidéo, danse, théâtre et musique, il est nécessaire de parfaitement doser l’ensemble. Petit à petit, nous avons trouvé, il me semble, l’harmonie que nous cherchions. »
Fable réaliste
Adaptant à la scène le roman de Tarjei Vesaas, Emmanuelle Vo-Dinh invite, grâce notamment au travail vidéo enveloppant et ingénieux de Laure Delamotte-Legrand, à un voyage en terre inconnue, à une plongée au cœur de l’étrange relation qui lie deux petites filles. Laissant libre court à l’imagination du spectateur, elle offre une vision très poétique de l’œuvre. « Avec les quatre interprètes au plateau, explique-t-elle, nous travaillons ensemble depuis longtemps. Et c’est avec eux que je me suis essayée , il y a quatre ans, pour la première fois à une forme à destination du jeune public. Je connais bien leur spécificité. David (Monceau) est compositeur-danseur, Camille (Kerdellant) est comédienne-chanteuse et Alexia (Bigot) et Cyril (Geeroms) sont danseurs. Quand il a été question de repartir sur l’idée d’un spectacle pour enfants, je n’ai pas hésité, c’est avec eux que le projet devait être monté. Dans un premier temps, nous avions l’envie de plonger dans l’univers de Lewis Caroll, puis nous avons découvert l’Alice de Jan Švankmajer, un artiste cinéaste tchèque qui aime mélanger les médiums – vidéos, pâtes à modeler, etc. -, et enfin je suis tombé sur le Palais de glace de Tarjei Vesaas, un auteur que je connaissais notamment grâce aux adaptations de Claude Régy. Dès que j’ai lu le résumé, l’histoire de ces deux petites filles, j’ai eu la vision de la pièce. »
Roman initiatique
Sur scène, Camille Kerdellant narre de sa voix douce, mélodieuse, l’histoire de Unn et Siss, deux fillettes qui signent un mystérieux pacte au cœur des paysages glacés de Norvège. Elle donne aux mots de Tarjei Vesaas, une puissance, une force épique autant que mystique. Face à elle, David Monceau répond aux mots par des notes, des sons. Interprétant à l’écran et au plateau, les deux enfants, Alexia Bigot se balade dans un décor filmé autant que réel. Enfin, Cyril Geeroms joue les créatures, les êtres imaginaires. Une heure durant, les quatre artistes investissent l’espace et entraînent les spectateurs vers un ailleurs, un monde où la nature est omniprésente, où le fantastique n’est jamais loin du réel.
Les yeux pétillants, les quelques invités ont bien du mal à s’extraire de cette œuvre immersive qui devrait séduire les petits, mais aussi les grands rêveurs. Dès le mois de janvier, on l’espère, il sera possible de se balader au cœur de cette féerique Forêt de glace.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Forêt de glace d’Emmanuelle Vo-Dinh
Librement inspiré du roman de Tarjei Vesaas Le Palais de glace (Éditions Babel, traduction Jean-Baptiste Coursaud)
Répétitions et filages à huis-clos au Phare – Centre chorégraphique national du Havre Normandie
30 Rue des Briquetiers
76600 Le Havre
durée 50 minutes
Tournée
Le 28 janvier 2021 au Pôle Culturel Ev@sion, Ambarès-et-Lagrave / Festival POUCE !
Du 31 janvier au 02 février 2021 à l’Espace Culturel de la Pointe de Caux, Gonfreville l’Orcher
Du 30 mars au 01 avril 2021 au Phare / programmation Le Volcan Junior, Scène nationale du Havre
conception et scénographie d’Emmanuelle Vo-Dinh assistée Violette Angé
photographies et films de Laure Delamotte-Legrand
collaboration et interprétation d’Alexia Bigot, de Cyril Geeroms, de Camille Kerdellant et de David Monceau
musique d’Olyphant
lumières de Françoise Michel
dispositif vidéo projection — Jean-François Domingues
costumes de Laure Delamotte-Legrand et Emmanuelle Vo-Dinh
confection de Cyril Geeroms et de Salina Dumay
conception et réalisation mobiliers et accessoires de Christophe Gadonna
Crédit photos © Laure Delamotte-Legrand et © OFGDA