Au théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, fermé pour cause de Covid, Julien Bouffier répète sa dernière création, au lieu de la présenter. S’emparant des mots de Laurent Mauvignier, il aborde le drame du Heysel survenu dans le stade de foot bruxellois en 1985. Reportage au cœur d’une tragédie humaine.
En ce jour de novembre ensoleillé, au tour de l’épatante Nathalie Huerta, directrice des lieux, un tout petit nombre de personnes profite, avant de s’enfermer dans la salle, du beau temps sur le parvis du théâtre. En effet, dans quelques minutes, le metteur en scène Julien Bouffier doit présenter un filage de son adaptation trilingue de Dans la foule, roman de Laurent Mauviginer. S’appropriant le récit d’un drame humain qui a marqué les esprits, il suit les destins brisés d’une dizaine de supporters de football venus d’Italie, de France, d’Angleterre et de Belgique pour assister le 29 mai 1985 à la rencontre opposant la Juventus de Turin aux Reds de Liverpool.
Le choix d’un souffle romanesque
En s’attaquant à cette œuvre de Mauvignier, Julien Bouffier avait le besoin de se frotter à une écriture forte, épique, profondément humaine. « Après Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, explique-t-il, je voulais me confronter de nouveau à un roman, à une œuvre qui attrape, qui saisit et invite à un voyage vers ailleurs. Pendant un an, j’ai travaillé sur L’Éducation Sentimentale de Flaubert cependant je ne réussissais pas à trouver la bonne approche. J’avais déjà en tête l’envie d’une fresque qui dépasse le cadre de l’espace et du temps, d’une langue, d’un récit proche de mes centres d’intérêt. » En lisant Dans ma foule, le metteur en scène montpelliérain trouve ce fameux souffle dont il était en quête. « La plume de Laurent, confie-t-il, est incroyablement dense. Elle fait penser à celle de Claudel dans sa construction. Elle sert le récit documentaire, autant qu’elle cisèle, avec une belle intensité, le caractère des personnages. »
Une adaptation complexe
En s’attaquant à ce roman de Mauvignier, Laurent Bouffier n’a pas choisi la facilité. Suivant une dizaine de personnages avant, pendant et après le drame, le texte plonge le lecteur au plus près de cette foule dense, de ces supporters venus en nombre pour soutenir leurs couleurs, pour en découdre. « L’adaptation, souligne-t-il, n’a pas été simple. Il était important de respecter les respirations du texte, de lui garder toute sa force, tout en resserrant l’intrigue, en coupant à l’intérieur. Souvent, j’avais l’impression d’écorcher sa phrase – leur particularité est d’être longue, de ne pas finir- et pourtant il fallait. Le temps du lecteur n’est pas le même que celui du spectateur. » Après plusieurs mois de travail à la table et au plateau, metteur en scène et comédiens ont fini par trouver la forme scénique qui permettait une plongée totale au cœur des mots.
La vidéo comme outil immersif
En projetant des images d’archives, des gros plans, Laurent Bouffier invite le public à ressentir les émotions des supporters pris dans les mailles d’un filet tragique. La violence du récit est inouïe. Chacun des personnes que l’on suit est incarné avec justesse, sans tomber dans la caricature. Voyous, amis, jeunes mariés, tous sont confrontés à l’horreur, aucun ne s’en remettra. « C’est passionnant, précise le metteur en scène, Laurent Mauvignier utilise sa plume pour parler de personnages populaires. Ce n’est pas parce qu’ils aiment le football qu’ils parlent mal, bien au contraire. Il leur donne une densité, une présence, une humanité. Clairement, je rêve de faire avec ce roman, un spectacle, pour reprendre les mots de Vitez, élitaires pour tous ! En tout cas, on y travaille. »
Le confinement, un temps propice à la maturation
Normalement, Dans la foule aurait dû être créer dans le cadre du Printemps des comédiens à Montpellier en juin dernier. La pandémie en a décidé autrement. Ce temps rallongé de création offre à la troupe de Julien Bouffier – vibrant Zachary Fall, lumineuse Vanessa Liautey, épatant Alexandre Michel, ténébreux Grégory Nardella et troublant Alex Selmane – le temps de peaufiner la patine du spectacle, d’en retravailler la trame, l’essence, l’enveloppe. Toujours en devenir, Dans la foule attend tranquillement son heure et d’être enfin présenter au public.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Dans la foule d’après le roman de Laurent Mauvignier
Résidence et répétitions au théâtre Jean Vilar
Vitry sur Seine
1 place Jean-Vilar
94400 Vitry-sur-Seine
Durée 1h50 environ
mise en scène Julien Bouffier
avec Zachary Fall, Vanessa Liautey, Alexandre Michel, Grégory Nardella et Alex Selmane
musique de Jean-Christophe Sirven
scénographie d’Emmanuelle Debeusscher
vidéo de Laurent Rojol
Conception des éclairages de Christian Pinaud
régie générale de Florent Fouquet
costumes de Cissou Winling
Travail chorégraphique d’Hélène Cathala
traduction & coaching de Karin Espinosa
Crédit photos © OFGDA