Faute de pouvoir présenter au public sa dernière création, Guillaume Barbot parachève, à la Tempête, son adaptation d’Alabama Song, une biographie romancée tout en délicatesse de Zelda Fitzgérald. Continuant son exploration de portraits de femmes, le metteur en scène creuse ici la folie de cette figure mythique des années 1920.
Il fait frais en cette matinée de novembre au Bois de Vincennes. Un léger crachin humidifie l’air. Sous la tonnelle du théâtre de la Tempête, Guillaume Barbot, pull marin rouge vif, est en grande discussion avec le directeur des lieux, Clément Poirée. En ce deuxième confinement, la situation est de plus en plus tendue pour les équipes artistiques, les compagnies, les salles de spectacles. Un mois entier de programmation vient de sauter. Que faire ? Faut-il reporter au risque d’embouteillages monstres dans les mois à venir ? faut-il annuler quitte à sacrifier un nombre incalculable de créations ? Malgré les aides alloués par l’État, le compte n’y est pas. Les pertes artistiques autant que financières risquent de grever longtemps le monde du spectacle vivant.
Des filages pour continuer à y croire
Contrairement à un grand nombre de ses camarades, Guillaume Barbot a eu la chance de voir sa pièce jouée au moins une fois devant des amis. C’était le 30 octobre, dernier soir avant le confinement. Depuis, avec son équipe, il répète, peaufine son travail, histoire de ne pas perdre le fil, de donner à Zelda Fitzgerald, sa place au soleil. Dans l’ombre de son célébrissime mari, la jeune femme se débat pour exister, pour trouver sa propre voie artistique. Auteure, elle écrit sans relâche, mais Scott est l’homme de la famille, c’est à lui que revient l’obligation de faire vivre le foyer. Pour le bien du couple, au mieux il cosigne, au pire il s’attribue l’entière paternité des écrits de sa femme.
Un écho puissant à l’actualité
Comment ne pas voir dans l’enfermement mental de Zelda un parallèle avec ce deuxième confinement ? Tout comme elle, nous nous débattons pour survivre. « Adaptant des textes non théâtraux à la scène, confie-t-il, je lis énormément de romans contemporains. Il y a deux ans j’ai découvert, Anguille sous roche, que j’ai monté, il y a deux ans au TGP, et Alabama Song, qui, pour l’anecdote, est depuis longtemps le livre de chevet de ma femme, la comédienne Lola Naymark. Rapidement, j’ai été séduit par la langue de Gilles Leroy, qui m’a parlé en uppercut direct. Je connaissais Scott Fitzgerald, bien sûr, mais je n’avais aucune idée de qui était sa femme. Ça a été une vraie rencontre avec cette personnalité hors norme qui est en permanence entre ombres et lumières. Elle m’a fait penser à Sylvia Plath, dont l’histoire est assez similaire. »
Le féminin caché
Explorant, à travers deux écritures masculines, deux personnalités féminines qui luttent pour exister, Guillaume Barbot questionne son propre regard sur ces textes tant universel que féministe. « Par ailleurs, souligne-t-il, le fait de travailler sur Alabama Song avec Lola, m’a forcé à interroger le rapport créateur-créature, à adapter mon processus de travail. » En s’emparant du rôle de Zelda, la jeune comédienne s’en donne à cœur joie. Passionnée jusqu’à la folie, elle explore toutes les tonalités de cette personnalité singulière. Apathique, enjouée, hystérique, elle est un peu de tout cela avec une belle intensité.
Une mise en scène très musicale
Fils d’un journaliste spécialisé en musique, Guillaume Barbot est particulièrement sensible au son. « Petit, raconte-t-il, j’accompagnais mon père au concert. Rapidement, je me suis rendu compte de notre rapport charnel avec les notes, les chants, les accords. Du coup, en tant que metteur en scène, j’ai tout de suite eu le besoin de retrouver cette sensation avec les mots. C’est pour cette raison que je privilégie la musique en direct sur scène. Avec Alabama Song, il était important de retrouver l’atmosphère des années 1920. Le jazz s’est imposé évidement. Pierre-Marie Braye-Weppe, violoniste au plateau et élève de Didier Lockwood, s’est amusé à reprendre des standards de l’époque et à faire évoluer les rythmiques vers des improvisations plus contemporaines. » L’ensemble fonctionne à merveille, même si la musique prend parfois un peu trop le pas sur le texte. L’envie de swinguer emporte les quelques spectateurs privilégiés. Et, en ces temps moroses, c’est déjà une belle promesse.
Dans l’ingénieux décor circulaire, imaginé par Benjamin Lebreton, Lola Naymart et ses acolytes, musiciens-acteurs, donnent vie aux mots de Gille Leroy et réhabilitent éperdument Zelda Fitzgerald. Un show jazzy qui réchauffe les cœurs et offre un regard tout autre sur un des monuments de la littérature américaine.
Olivier Frégaville-Gratian D’amore
Alabama Song d’après le roman Gilles Leroy
Festival Avignon Off – La Manufacture
2bis rue des Ecoles
Du 7 au 26 juillet 2022 à 9h40, relâche les 13 et 20 juillet
Durée 2h05
Répétitions au Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
rue du Champ-de-Manœuvre
75012 Paris
Mise en scène de Guillaume Barbot assisté de Stéphane Temkine
Avec Lola Naymark et les musiciens-acteurs Pierre-Marie Braye-Weppe, Louis Caratini, Thibault Perriard
Scénographie de Benjamin Lebreton
Lumières deNicolas Faucheux assisté d’Aurore Beck
Costumes de Benjamin Moreau
Conception musicale collective, direction de Pierre-Marie Braye-Weppe
Son de Nicolas Barillot assisté de Camille Audergon
Regard chorégraphique de Bastien Lefèvre
Régie son Vincent Chabot
Crédit photos © OFGDA