Au TNB, fermé en raison des restrictions sanitaires, Arthur Nauzyciel recrée en version numérique et live Splendid’s de Jean Genet. Cinq après, la pièce n’a rien perdu de son intensité charnelle et sulfureuse et ce malgré la distance entre les comédiens, tous connectés via Zoom. Une expérience virtuelle unique où se conjuguent habilement théâtre et technologie de vidéoconférence.
Dans un silence quasi religieux, des images en noir et blanc défilent sur l’écran d’ordinateur. Des prisonniers se caressent, s’adonnent à des plaisirs solitaires, livrent leurs corps à la jouissance sous le regard concupiscent d’un gardien. Jeux érotiques, jeux de séduction, l’amour homosexuel est au cœur de ce court métrage réalisé en 1950 par Jean Genet. Seul film de l’auteur de Querelle, censuré à sa sortie et distribué seulement 25 ans plus tard en France, Un chant d’amour ouvre la séance Zoom. Son ambiance, étrange, sulfureuse, autant que poétique introduit ce qui va suivre et permet une plongée en apnée dans l’univers singulier du dramaturge, où se conjuguent un imaginaire puissant, charnel, une volonté de sortir l’art de ses carcans, de composer avec les multiples enfermements de nos existences normées.
Une danse avec la mort
Présentée en janvier 2015, quelques jours après les attentats de Charlie Hebdo et de l’hyper Casher, au CDN d’Orléans, dont Arthur Nauzyciel était alors le directeur, la pièce Splendid’s a un parcours hors-norme. Toujours en tournée à travers l’Europe et les États-Unis, elle poursuit sa route, confronte un public captivé à la dureté d’un monde, à sa violence. Retraçant les derniers moments de vie de six gangsters armés jusqu’aux dents, encerclés par des policiers, l’œuvre s’apparente à une danse macabre et terriblement érotique entre flics et voyous.
Une pièce en direct par zoom
Confinés à travers le monde, les comédiens, les Américains, David Barlow, Jared Craig, Ismaïl Ibn Conner, Michael Laurence, Rudy Mungaray, Daniel Pettrow et Timothy Sekk, et le Français, Xavier Gallais, avaient besoin en cette période étrange de se retrouver, de partager. Très vite, l’idée de passer par Zoom, est devenue une évidence. Il n’y avait qu’un pas pour recréer Splendid’s en version vidéoconférence, qu’Arthur Nauzyciel n’a pas hésiter à franchir pour notre plus grand bonheur. Resserrant la vidéo sur les visages, faute d’avoir une multiplicité de plans – l’objet zoom étant assez limité artistiquement parlant -, le metteur en scène nous entraîne au plus près des émotions, des troubles des acteurs. L’effet est saisissant, d’autant que la voix de Jeanne Moreau vient hantée ce moment suspendu. L’expérience est totale. La performance à chaque séance renouvelée touche au plus juste, au plus sensible.
Du virtuel vivant
Faisant écho à la situation du confinement que nous vivons, les mots de Genet, portés ainsi à travers des écrans interposés, résonnent puissamment en nos cœurs. Ils nous emportent malgré hors des murs de nos appartements, malgré l’enfermement mental qui nous oblige à rester chez nous pour protéger les autres. Fébrile autant que fragile, fort autant qu’intrusif, ce Splendid’s version zoom garde toute la densité virile et sensible qu’y insuffle le dramaturge. Ainsi, la mise en scène de Nauzyciel au cordeau répond par des clins d’œil subtils au film de Genet qui ouvre la séance vidéo. Un moment rare à voir sans délais.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Splendid’s, Création sur zoom – En live, d’après Jean Genet
création TNB
durée 1h50
spectacle en anglais, surtitré en français
Mise en scène et réalisation d’Arthur Nauzyciel
Traduction anglaise de Neil Bartlett
Régie son de Florent Dalmas
Avec à l’écran David Barlow, Jared Craig, Xavier Gallais, Ismaïl Ibn Conner, Michael Laurence, Rudy Mungaray, Daniel Pettrow, Timothy Sekk et la voix de Jeanne Moreau
Crédit photos © DR – tiré de la Visio zoom