A la semaine d’Art en Avignon, Kaori Ito et son père spirituel, Yoshi Oïda, comédien emblématique de Peter Brook, revisitent un classique du théâtre nô. Entre ombre et lumière, entre rêve et réalité, ce Tambour de soie irradie d’un esthétisme rare, d’une grâce exquise sans pourtant totalement envoûter.
Une simple servante éclaire la scène. Elle laisse entrevoir les voutes et les colonnes romanes de l’ancien édifice religieux. Dans la pénombre, une silhouette voutée s’avance à petits pas, se saisit de la lampe, sentinelle perpétuelle qui veille sur le théâtre même, surtout quand celui-ci est déserté. Attirail de ménage à la main, Yoshi Oïda, acteur fétiche de Brook, éditeur homosexuel pour Peter Greenaway dans le très poétique Pillow Book, hante le plateau en quête d’espoir et de jeunesse.
La rencontre
Des coulisses, une jeune femme (lumineuse Kaori Ito) apparaît. Danseuse, elle profite du lieu vide pour répéter avec son musicien (Makoto Yabuki). Concentrée, un brin hautaine, elle ne fait pas attention au viel homme. Elle l’ignore superbement. Lui pourtant n’a d’yeux que pour cette sublime créature au teint de porcelaine. Sa grâce, son maintien, son port altier, en font l’objet de ses désirs. Il est pris dans ses filets. Un regard suffit à la belle pour tout comprendre. Elle use d’un bien cruel stratagème pour maintenir la tension sensuelle, séductrice, et ne pas se refuser totalement à cet admirateur transi : le mettre au défi de faire sonner un tambour dont elle a préalablement remplacé la peau par de la soie.
Un classique du nô revisité
S’inspirant d’une œuvre de Yukio Mishima, Jean-Claude Carrière transpose les histoires d’un pécheur âgé et d’une princesse dans un théâtre. Mettant en abîme l’art vivant, il signe une pièce délicate sur le désir, la culpabilité et la transmission. Avec une fine dérision et une belle maîtrise de leur art, Kaori Ito et Yoshi Oïda s’emparent de cette fable contemporaine, intemporelle, où danse, musique et jeu s’entremêlent, se charment et se conjuguent joliment en de rares instants aussi fugaces qu’intenses.
Des présences irradiantes
Les tableaux d’un esthétisme puissant défilent, précis, fugitifs, faisant la part belle aux deux interprètes. Maladroit dans les pas de danse qu’il esquisse pour toucher le cœur de celle qui a réveillé sa vieillesse, Yoshi Oïda s’amuse dans le rôle de cet enamouré, son regard pétille, son visage s’illumine, presque cabotin. Face à lui, Kaori Ito joue à merveille les capricieuses et s’empare de l’espace scénique avec l’énergie, l’agilité et l’intensité qu’on lui connait. Mâtinant une danse inspirée des traditions japonaises de sa propre grammaire plus contemporaine, elle devient céleste quand elle enfile un magnifique kimono de soie.
Un souffle épique qui se cherche
Emportés par la musique jouée en direct par Makoto Yakubi, les deux artistes complices se cherchent tout le spectacle. Chacun déployant tout son talent, qu’ils ont immense pour aller vers l’autre, mais ne se trouvent qu’en de trop rares moments. Encore frais, ce conte manque pour l’instant un peu de maturation, d’envolées lyriques pour séduire et enchanter. La pandémie étant passée par là, les répétions ayant été pas mal chamboulées, ce n’est qu’une histoire de temps, d’apprivoisement, pour que ce beau papillon sorte de sa chrysalide.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Le tambour de soie, un nô moderne de Kaori Ito et Yoshi Oïda
Semaine d’Art en Avignon – Festival d’Avignon
Chapelle des Pénitents blancs
Place Principale
84000 Avignon
Création le 23 octobre 2020
durée 1h environ
Tournée
du 29 octobre au 1er novembre 2020 au Théâtre de la Ville, Espace Cardin, Paris
les 17 & 18 décembre 2020 à la Maison de la Culture d’Amiens
le 26 février 2021 au Théâtre Ducourneau, Agen
du 21 au 25 avril 2021 au Théâtre Kléber Méleau, Renens (Suisse)
Mise en scène et chorégraphie de Kaori Ito et Yoshi Oïda
Avec Kaori Ito et Yoshi Oïda et Makoto Yabuki
Texte de Jean-Claude Carrière inspiré de Yukio Mishima
Musique de Makoto Yabuki
Lumière d’Arno Veyrat
Costumes d’Aurore Thibout
Couleurs textiles d’Aurore Thibout, Ysabel de Maisonneuve
Collaboration à la chorégraphie Gabriel Wong
Collaboration à la mise en scène Samuel Vittoz
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage