Au théâtre de Belleville, Sébastien Desjours adapte avec délicatesse le troublant roman de Léonor de Récondo, Point Cardinal. En se glissant dans la peau de cet homme profondément femme, il esquisse sans voyeurisme le portrait d’un être unique qui, à quarante ans, quitte l’ombre pour la lumière et accepte, bien au-delà des préjugés, sa véritable identité.
Musique électro en fond sonore, néons roses au sol quadrillant l’espace de jeu, pas de doute, à peine rentrés dans la salle, nous sommes plongés dans l’ambiance festive d’une boite de nuit. Derrière un paravent noir, des mollets galbés, perchés sur des talons d’au moins 12 cm, se laissent emporter par le rythme, ignorant tout du monde extérieur. Il se fait tard. Il est temps de quitter l’atmosphère ouatée, protectrice du Zanzi, le club « queer » du coin et de rentrer chez soi.
Remettre le masque
Dans le cokpit étroit de sa voiture familiale, Mathilda enlève méticuleusement ses habits de lumière, ses faux-cils, son maquillage et redevient douloureusement, tristement Laurent. Marié à Solange, père de deux enfants, l’homme est plutôt heureux dans sa vie de couple. Il n’a rien à reprocher à sa femme, bien au contraire. Il l’aime profondément. Juste un sentiment ancré intimement en lui, son genre n’est pas son sexe. Il se sait, se sent femme. Mais comment assumé sa véritable identité face à ses proches, ses collègues, face à une société binaire assez intolérante avec les différences, et ceux qui ne rentrent pas dans la norme ?
Une fable humaine
Plongeant dans les secrets d’une transition, Léonor de Récondo trace avec justesse le récit d’une vie, celle d’un homme qui, après avoir rempli toutes les cases, décide enfin d’être elle. Par touches, par étapes, on suit le parcours de Laurent, du travestissement tapageur, honteux, à la transformation hormonale puis chirurgicale qui met en lumière Lauren, son vrai moi. Trop sage peut être, le texte ne cherche pas la polémique, la controverse. C’est en douceur que l’autrice nous guide dans ce parcours initiatique, qui peut rappeler celui de Mathilde Daudet, petite fille du célèbre auteur des Lettre de mon moulin, dans Choisir de Vivre.
L’acceptation de l’autre
Dessinant les contours d’une histoire complexe, sans éviter les heurts, les incompréhensions, les malaises, mais où, sommes toutes, l’apparente facilité masque la trop souvent dure et violente réalité, Léonor de Récondo va à l’essentiel, le ressenti intime de son personnage. C’est toute la force de son récit, l’ancrer dans un monde où la liberté d’être soi pourrait être envisageable bien au-delà des préjugés. Laurent n’est pas homo, Solange est son unique amour, il est simplement femme et souhaite enfin accorder sexe et genre.
Une adaptation fidèle
Sébastien Desjours s’empare de ce texte avec une belle justesse. Loin de tous clichés, de toutes caricatures, il donne au personnage de Laurent, de Lauren, des teintes pleines de nuances. Il est lui, puis elle. Jamais folle, toujours dans le bon ton, il met en lumière la vérité, sans fard, sans excès, de cette transition. Refusant le travestissement, la pastiche, il joue une savante partition toujours à l’équilibre entre féminin et masculin. Seuls les accessoires, une veste de tailleur, des chaussures à talon, permettent de suivre le parcours d’un être qui enfin accepte de quitter l’ombre d’un corps sexué qui n’est pas le sien pour le grand jour, celui d’un féminin heureux.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Point Cardinal de Léonor de Récondo
Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75011 Paris
Jusqu’au 30 décembre 2020
durée 1h05
Adaptation scénique, conception et jeu de Sébastien Desjours
Collaboration artistique – Claire Chastel et Bénédicte Rochas
Scénographie et costumes d’Anne Lezervant
Collaboration à la scénographie – Quentin Paulhiac
Lumières d’Olivier Maignan
Création musicale d’Olivier Maignan
Création son de Gildas Mercier
Crédit photos © Pauline Le Goff