Pour ouvrir sa dernière saison en tant que directrice de la Comédie de Béthune, Cécile Backès s’empare de la Loi de la gravité de l’auteur québécois Olivier Sylvestre. En musique et loin des clichés, elle signe un spectacle troublant et joliment humain. Une belle fable contemporaine et sensible sur le genre et les premiers émois de l’adolescence.
Dans la petite salle de la Comédie de Béthune, Cécile Backès nous emmène au Québec, à Presque la ville, un étrange endroit, séparé de la grande cité voisine par un pont qui semble infranchissable. Dom (volontaire Marion Verstraeten), 14 ans, est né là. Demain c’est la rentrée. Il n’a pas envie de retrouver ses camarades de classe. C’est un solitaire. Il zone non loin d’un panneau publicitaire, s’attache à ses rêves, observe les étoiles. Il est rejoint par Fred (épatant Ulysse Bosshard), un jeune garçon qui vient d’emménager. Rapidement, le courant passe. Les deux adolescents confrontent leur solitude, leur mal-être. Une amitié fragile naît.
Confusions des genres
Dom roule des mécaniques. C’est un vrai petit gars dans un corps de fille. Il n’aime pas qu’on le catalogue. Il veut être libre, aimer qui il veut, pouvoir être homme, femme ou ni l’un ni l’autre. C’est un fonceur, il n’a pas froid aux yeux. Bien sûr, derrière le masque, il cache des fêlures, des cassures. Fred est plus fragile. Il n’assume pas totalement qui il est, son désir pour les garçons notamment. Il a un peu honte, le poids du regard des autres, de sa famille. De leurs blessures intimes, ils vont faire une force. Main dans la main, ils se sentent prêts à affronter le monde, à assumer leur différence.
Une mise en scène musicale
Avec gourmandise et générosité, Cécile Backès s’empare de l’écriture vive, rythmée d’Olivier Sylvestre, de son phrasé québécois. En peu de mots, il donne à ses personnages une densité, une personnalité singulière. Il nous attrape avec ses expressions venues de l’autre côté de l’atlantique, la centrale d’achats, magasiner ou Camisole-bedaine. Soulignée par les musiques, les bruits joués, créés en direct par Arnaud Biscay en alternance avec Héloïse Divilly, la langue chante, envoûte. Il n’en fallait pas plus pour que la Directrice de la Comédie de Béthune nous embarque dans ce conte d’aujourd’hui, cette histoire qui met à mal la norme et la sempiternelle binarité masculin-féminin.
Deux comédiens habités
Le décor très indu imaginé par le talentueux Marc Lainé et sa complice Anouk Maugein, une décharge publique, un bout de terrain vague abandonné se transforme en un étonnant et chaleureux lieu de vie, en proue de bateau, en passerelle vers l’inconnu, en refuge béni des dieux et des oiseaux bienveillants. Virevoltant entre les barres de fer, passant du sol à l’étage, Marion Verstraeten et Ulysse Bosshard habitent la scène de leurs présences incroyables. Sans jamais forcer le trait, toujours avec une justesse incroyable, ils donnent à Dom et Fred une belle énergie, une fragilité pleine de douces nuances, de couleurs mêlées.
Loin de tout manifeste, de toute revendication, La loi de la gravité esquisse avec une simplicité confondante le portrait de deux jeunes adolescents en quête d’identité au-delà du genre et des standards classiques. Riche d’une belle humanité, ce petit bijou sensible frappe juste. Un bien joli spectacle qui pourrait ébranler beaucoup de certitudes et changer quelques mentalités. Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Béthune
La Loi de la gravité d’Olivier Sylvestre
Comédie de Béthune
Centre dramatique national Nord – Pas-de-Calais
138 Rue du 11 Novembre
62412 Béthune
Jusqu’au 10 octobre 2020 puis du 24 au 27 novembre 2020
Durée 1h00
Mise en scène de Cécile Backès assistée d’Héloïse Divilly
avec Marion Verstraeten, Ulysse Bosshard et à la batterie Arnaud Biscay en alternance avec Héloïse Divilly
dramaturgie de Morgane Lory
scénographie de Marc Lainé et Anouk Maugein
son de Stéphan Faerber
lumières de Christian Dubet
régie lumière d’Aurélie Bernard
costumes de Camille Pénager
accessoires de Cerise Guyon
maquillage de Catherine Nicolas
training physique d’Aurélie Mouilhade
Crédit photos © Simon Gosselin