Dans le cadre de « Trop Classe ! » , exposition du Maif Social club autour de la transmission des savoirs, Nicolas Bonneau grimpe une à une les branches de son arbre généalogique et revisite avec humour et pédagogique le roman national qui esquisse la France d’Aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de questionner l’identité nationale ?
Nicolas Bonneau : Il y a plusieurs entrées, l’une d’elles vient de grandes planches éditées par la maison Rossignol achetées sur un marché à Strasbourg lors d’une tournée. Ces images, que l’on trouvait dans les salles de classe, avait la spécificité de glorifier la France. Il y avait là toutes les figures du roman national, Vercingétorix, Clovis, Jeanne d’Arc, Brazza, Jaurès, Pasteur, les Poilus, etc… j’ai eu le sentiment que je voulais en faire quelque chose et les mettre sur une scène.
Une autre entrée, c’est l’utilisation et la récupération de ce roman national par les tenants du repli identitaire et du « c’était mieux avant ». Il y a donc ma peur de voir l’extrême droite arriver au pouvoir et la volonté de questionner ce mystérieux sentiment national et les figures qui le composent, de dénoncer son utilisation dangereuse et nauséabonde.
Quant à l’expression « roman national », elle a été popularisée par Pierre Nora et désigne le récit patriotique, centralisateur, édifié par les historiens du XIXe siècle tout à la louange de la construction de la nation. Le récit national met en avant la grandeur du pays, ses hauts faits et édulcore souvent les pages plus délicates.
Comment avez-vous abordé ce sujet et comment l’avez-vous adapté à la scène ?
Nicolas Bonneau : Je suis allé chercher Nicolas Marjault, un ami d’enfance, avec qui j’avais fondé ma première troupe de théâtre à Nantes (le Théâtre d’Alice) et je lui ai demandé de fabriquer ce spectacle avec moi. Je lui ai dit : « tu as été prof d’histoire, tu es prof d’Histoire de l’art, prof de Théâtre (à Niort au lycée Jean Macé) et tu pratiques avec tes élèves un théâtre pauvre. Je veux que tu m’emmènes vers ça, je veux pouvoir jouer sans presque rien dans les salles de classe comme dans les théâtres. »
Nicolas Marjault, qui me connait bien, m’a proposé de remonter mon arbre généalogique sur six générations, de mon arrière-arrière-grand-père, Pierre Bonneau, né en 1875 à Germond dans les Deux-Sèvres et dont j’ai retrouvé le Petit Lavisse, à mon fils Ulysse qui a 7 ans. Et à chaque fois, nous mettons en lien l’histoire intime et nationale. Mon arrière-grand-père a fait Verdun, ma grand-mère a eu une vie incroyable pour son époque, mon père est un enfant du mythe des 30 glorieuses. J’ai moi-même, ne reculant devant aucun sacrifice, travaillé au Puy du Fou, haut lieu de la relecture du roman national. C’est donc une enquête familiale, photos et images à l’appui, qui se mêle avec l’histoire de France. Fanny Chériaux a, quant à elle, revisité en musique les « grands tubes » de l’Histoire de France. Et puis, je ne joue pas réellement seul, mais ça il faut le découvrir…
Nous avons voulu faire un spectacle politique et sensible, grave et non dénué d’humour qui puisse aller au plus près des gens. Faire débat avec eux et rester discuter après, en mettant à chaque fois le spectacle en lien avec l’actualité. Car le roman national est présent chaque jour, comme dernièrement le décolleté et la façon des femmes de s’habiller à l’école, alors que quand vous regardez Marianne, elle en a pourtant, un sacré de décolleté. C’est Nicolas Marjault qui mène cette rencontre après chaque représentation.
Comment s’inscrit ce spectacle dans la thématique de saison du Maif social Club sur la transmission ?
Nicolas Bonneau : La transmission est présente dans tout le spectacle, à travers les six générations qui se succèdent, à travers ce que m’ont laissé mes ancêtres et ce que je vais laisser à mon fils. C’est comme si nous faisions tous partie du même roman feuilleton que l’on se transmet de génération en génération. Comment un pays fabrique-t-il son histoire ? Comment le grand roman national s’incarne-t-il aujourd’hui ? C’est une question qui traverse tous les bords politiques et dont nous voulons montrer la complexité. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il n’y a plus aucun récit qui nous rassemble, et pour un conteur, je trouve ça triste…
Entretien réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Mes ancêtres les gaulois de Nicolas Bonneau et Nicolas Marjault
Maif Social Club
37 rue du Turenne
75003 Paris
Du 8 au 10 octobre 2020
durée 1h10 + 20 minutes d’échanges
mise en scène de Nicolas Bonneau et Nicolas Marjault
Avec Nicolas Bonneau
collaboration artistique et création sonore de Fanny Chériaux
Production – Compagnie La Volige – Nicolas Bonneau
Crédit photos © Gaëlle Evelin et Julien Jaffré