A la Comédie de Valence, Alice Zeniter questionne l’importance de la fiction par rapport au réel dans un seul-en-scène drôle et singulier. Entre monologue, confession intime et dissertation éclairée, la romancière et dramaturge s’amuse des mots, des idées et mène une réflexion fulgurante sur la force du récit dans nos quotidiens.
Cheveux, bruns bouclés, coupés courts, tenue ample, Alice Zeniter entre sur scène comme elle entrerait dans un amphithéâtre. Fine, elle sait tout de suite captiver l’attention de son auditoire. Elle parle d’elle, de son métier, de sa passion. Ce qu’elle préfère ce sont les mots, les histoires, les récits. Elle s’y plonge avec gourmandise. A 34 ans, elle a déjà publié sept romans, obtenu plusieurs prix littéraires. Sa curiosité, son goût de la perfection, de l’apprentissage, la poussent à creuser, à chercher d’où vient cet intérêt commun pour la fiction, et comment en désacraliser la puissance évocatrice et émotionnelle.
Le récit plus fort que le réel
S’appuyant sur les écrits de la romancière américaine Ursula Le Guin, l’érudit italien Umberto Eco, les philosophes Aristote et Frédéric Lordon, elle construit une thèse drôle autant que savante, s’amuse à entremêler à ses réflexions les histoires de Superman, de Jon Snow, sans oublier de mentionner son « crush » secret pour Enjolras, un des personnages des Misérables de Victor Hugo. Déconstruisant la magie du récit pour mieux la réinventer, Alice Zeniter explique comment les cueilleurs de la préhistoire, aux histoires ennuyeuses, se sont fait voler la vedette par les chasseurs aux vies plus palpitantes.
Le public pour témoin
Choisissant la forme directe en s’adressant directement aux spectateurs, la romancière invite à surfer sur le flot foisonnant de ses pensées. L’écrivaine se confesse, se livre avec beaucoup d’autodérision. Elle a le sens du rythme, du suspens. Alice Zeniter joue avec les mots, les récits, se délecte de leur puissance romanesque. Tour à tour professeur, amie, auteure, elle multiplie les styles, les tons, attrape l’attention pour le plus grand plaisir de tous.
Entre réalité et onirisme
Dans le décor blanc, poétique, fait de feuilles blanches, concocté par Marc Lainé, la romancière navigue comme un poisson dans l’eau. Un peu trop peut-être, emportée par sa propre verve, elle a un peu de mal à conclure, rajoutant une dernière assertion intéressante certes mais pas forcément nécessaire. Rien de grave, Alice Zeniter a du talent, une présence scénique incroyable et une plume vive. Avec Je suis une fille sans histoire, elle signe un spectacle itinérant particulièrement futé, une belle histoire qui fait mouche.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Valence
Je suis une fille sans histoire d’Alice Zeniter
Comédie de Valence dans le cadre de la Comédie itinérante
Spectacle créé le 6 octobre 2020 à la Fabrique, Valence
78 Avenue Maurice Faure
26000 Valence
jusqu’au 10 octobre 2020
Durée 1h30 environ
Texte et interprétation d’Alice Zeniter
Regard extérieur de Matthieu Gary
Scénographie de Marc Lainé
Lumière de Kevin Briard
Crédit photos © Simon Gosselin