Suite à l’annulation de leur événement phare du printemps, June Events, l’Atelier de Paris fait sa rentrée avec un temps fort, dédié à la création. En soirée d’ouverture, le Centre de développement chorégraphique national propose, en collaboration avec l’Institut du monde arabe, deux pièces féminines, qui ont été profondément impactées par la crise sanitaire.
Il fait bonce mardi soir de septembre. Le ciel est gris, l’air est doux. Au cœur de la cartoucherie, le public, des aficionados de l’Atelier de Paris, friands de leur regard sur la création contemporaine, sont venus en nombre. Les discussions vont bon train. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils retournent au théâtre après le confinement, après cet été singulier. Tous, derrière le masque de rigueur, se réjouissent de ce moment particulier, fragile. Le cadre champêtre des lieux invite à l’apaisement, à la bienveillance.
Une pièce en devenir
Par petits groupes, les spectateurs pénètrent dans le bâtiment de briques, s’installent en faisant attention aux distanciations sociales. Sortant des gradins, Danya Hammoud traverse la scène immaculée. Elle s’assoit par terre, face publique. Regard droit devant, la gracile chorégraphe semble faire le vide dans sa tête. Elle tourne, retourne, se tord, allongée sur le sol. Puis se lève, se dirige vers l’un des deux micros installés sur le devant du plateau. La voix est claire, un brin fêlée. En quelques mots, elle explique pourquoi nous ne verrons pas sa création initiale Sérénités, mais plutôt une version chamboulée par les évènements, la crise du Covid, l’explosion de nitrate d’ammonium qui a ravagé Beyrouth le 4 août dernier.
Trois femmes en migration
La danseuse Ghida Hachicho, n’ayant pu quitter le Liban, le trio devient duo. Les mots remplacent les gestes de l’absente. Avec sa binôme, Yasmine Youcef, Danya Hammoud conte les corps migrants de trois femmes, l’évolution de sa ligne chorégraphique. Elle plonge au cœur de ses réflexions et entraîne le public au plus près de ses aspirations, de ses inspirations, de ses vibrations. Prenant comme base de danse, uniquement le mouvement du bassin, elle en décline les ondulations. Trouvant le juste équilibre entre paroles et gestes, la jeune chorégraphe libanaise signe un spectacle délicat, puissant qui fait écho à l’actualité, aux inquiétudes du monde, à la détresse des peuples qui rêvent d’un ailleurs plus serein.
Jeux d’ombres
Dans un autre registre, Nacera Belaza invite àun voyage transcendantal à la lisière de la lumière. Dans une pénombre parfaitement dosée, ciselée, l’artiste et ses quatre interprètes se laissent emporter par les rythmes hypnotiques des chants traditionnels algériens. Les tableaux, tous d’une rare beauté, s’enchaînent conviant chaque spectateur à la rêverie, aux songes. Malgré le caractère itératif, quasi obsessionnel de la ligne chorégraphique de cette pièce en création, qui pourrait au long court lasser, la poésie qui se dégage de l’ensemble saisi, séduit. Oubliant l’espace et le temps, chacun se laisse bercer, fasciner par ce ballet clair-obscur, qui laisse parfois apparaître au cœur des ténèbres, une main blanche, un visage d’albâtre.
Nouveaux rites
Puisant dans les motifs chorégraphiques des danses ancestrales de son pays natif, Nacera Belaza dessine de nouveaux horizons, de nouvelles croyances. Formée au contemporain, elle donne aux corps, aux mouvements une densité, une puissance à la frontière entre réalité et spiritualité. Bien que le performance de ce soir, ne soit encore qu’une ébauche – la première étant prévue fin octobre au théâtre Joliette à Marseille – , elle présage d’une œuvre intense qui ne demande qu’à être affinée, ciselée.
La soirée touche à sa fin. Elle n’est que les prémisses d’une saison riche, dense. D’autres créations, que ce soit à la Cartoucherie ou à la Conciergerie, sont à découvrir lors de cet Indispensable ! de l’Atelier Paris. L’occasion, à n’en pas douter, de commencer l’année théâtrale en toute volupté !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Indispensable !
Atelier de Paris – CDCN
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Jusqu’au 13 septembre 2020
Sérénités était son titre de Danya Hammoud
Association L’Heure en commun
En coréalisation avec l’Institut du monde arabe dans le cadre du Printemps de la danse arabe
Durée 35 min
Chorégraphie de Danya Hammoud
avec Yasmine Youcef, Ghida Hachicho et Danya Hammoud
Création lumière d’Abigail Fowler
Lumière de Marinette Buchy
Création sonore de David Oppetit
Collaborations pendant le processus Marion Sage et Anne Lepère
L’Onde de Nacera Belaza
Cie Nacera Belaza
En coréalisation avec l‘Institut du monde arabe dans le cadre du Printemps de la danse arabe
Durée 35 min
Date de tournée
du 4 au 7 Novembre 2020 au Théâtre Vidy – Lausanne
26 Novembre 2020 à L’Arsenal – Cité Musicale, Metz
10 décembre 2020 à L’Échangeur CDCN, Château Thierry
17 – 20 Décembre 2020 à la MC93, Bobigny dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
Chorégraphie, Conception son et lumière de Nacera Belaza
avec Nacera Belaza, Aurélie Berland, Beth Emmerson, Magdalena Hylak, Mélodie Lasselin
Régie générale de Christophe Renaud
Crédit photos © Patrick Berger – Atelier de Paris / CDCN