Dans le cadre d’Indispensable !, festival impromptu de l’Atelier de Paris, en partenariat avec le Centre Wallonie-Bruxelles, la compagnie de Thomas Hauert et le duo Florencia Demetri-Samuel Lefeuvre défient le temps, son inexorable fuite. Ralentis, gestes saccadés, contrôlés, soubresauts, sont le sel de ces deux performances, la première en manque de souffle, l’autre hypnotisante.
A la cartoucherie, les soirs se suivent mais ne ressemblent pas. Anne Sauvage, la directrice de l’Atelier de Paris, y met un point d’honneur. La programmation très contemporaine du lieu est variée, diversifiée. Après deux pièces signées par des femmes, mardi dernier, c’est au tour de chorégraphes belges de présenter leur dernière création.
Pantins et Mobiles
Face à la fuite en avant d’un monde où tout s’accélère, Thomas Hauert s’octroie une pause, un ralentissement nécessaire à sa réflexion, à ses interrogations. Les corps sont à l’arrêt, ou presque. Ils ne se meuvent que par gestes ralentis, saccadés. Tels des pantins de chiffons, les danseurs, au diapason des mobiles de fils jaunes qui servent d’unique décor à cette performance chorégraphique, ne semblent plus avoir leur libre arbitre. Ce sont des mains célestes, cachées dans les coulisses, dans les cintres, qui leur imposent déplacements, mouvements.
De la lancinance à l’ennui
Suivant les mesures très lentes de la musique de John Cage, le chorégraphe d’origine suisse étire à l’envi, son écriture. Trop peut-être, tant le temps ne semble ne plus s’écouler. Quelques tressautements, un bras, une jambe, un filin jaune, sortent de leur torpeur les spectateurs. Cela ne dure qu’un court instant. A trop ralentir la cadence, il finit par perdre l’attention d’un public pourtant en demande de spectacle, de danse. Malgré tout, les cinq interprètes autour de Thomas Hauert, ne déméritent. Maitrisant chaque muscle de leur corps, ils délient chaque geste à la manière de quelques marionnettes.
Dérapages chorégraphiés
Dans un tout autre registre, mais mu par la même conviction que le monde va à vaut l’eau, que la mécanique humaine s’enraille, le duo, Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre, invite à un pas robotique fascinant et hypnotique. Au sol, un immense carré de suédine beige très clair, presque rose, évoque un lieu paradisiaque, une plage. Écoutant les vagues rouler sur le sable, un couple se promène lentement sur la grève, s’allonge par terre. Quelques spasmes perturbent par intermittence, la belle quiétude, le bel équilibre. Imperceptiblement, leurs corps se mettent à vibrer. Ils tentent de bouger, mais rien ne se passe. Ils sont comme figés.
Défaillances contrôlées
Tremblements très réguliers, bande-son qui déraille, lumières stroboscopiques, la même image, à peu de chose près, semble défiler à l’infini. Visages fermés, les danseurs ont l’air de machine avec un défaut de programme. C’est de cette défaillance technique, appelée Glicth en informatique, que le duo, dont la présence scénique est indéniable, tire sa source d’inspiration. Et c’est plutôt remarquable., il signe un spectacle singulier et itératif d’un rare maîtrise technique.
Comment ne pas être captivé par cette danse épileptique et saccadée, qui mériterait toutefois d’être resserrée. Impossible, pour les derniers réfractaires, la musculature impressionnante de Samuel Lefeuvre et la silhouette athlétique de Florencia Demestri, font le reste et emportent la mise. Une belle soirée d’automne, qui rappellerait à ceux qui en doutait que le plat pays, n’est pas en reste dans le domaine des arts vivants.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Indispensable !
Atelier de Paris – CDCN
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Jusqu’au 13 septembre 2020
If Only de Thomas Hauert
Atelier de Paris
Ci ZOO
Durée 60 min
Conception et direction de Thomas Hauert
Créé et interprété par Thomas Hauert, Liz Kinoshita, Sarah Ludi, Federica Porello, Samantha Van Wissen, Mat Voorter
Musique de Thirteen Harmonies John Cage
Interprétation musicale, voix de Lea Petra (Keyboard), Wietse Beels (Violon)
Son de Bart Celis
Scénographie de Chevalier-Masson, Bert Van Dijck, ZOO
Lumière de Bert Van Dijck
Costumes de Chevalier-Masson
Confection costumes d’Isabelle Airaud
Glitch de Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre
Cie Demestri & Lefeuvre
Théâtre de l’Aquarium
Durée 50 min
Concept, chorégraphie et interprétation de Florencia Demestri & Samuel Lefeuvre
Création lumière de Nicolas Olivier
Création sonore de Raphaëlle Latini
Scénographie de François Bodeux
Régie lumière de Aurélie Perret
Dramaturgie d’Emmanuelle Nizou assistée de Jill De Muelenaere
Collaboration visuelle Laetitia Bica
Costumes de Vanessa Pinto
Crédit photos © Patrick Berger – Atelier de Paris et © Laetitia Bica