A l’Opéra de Limoges, dans le cadre des Zébrures d’automne, Hassane Kassi Kouyaté s’empare avec fièvre de Congo Jazz Band, une tragicomédie qu’il a commandé à Mohamed Kacimi. Plongeant dans près de cent ans de colonialisme, il retrace la violente histoire de Congo. Un uppercut musical fort, vibrant !
Sur la grande scène de l’Opéra de Limoges, un sextuor tout droit venu du Congo s’apprête à mettre le feu à la salle. Fougueux, exalté, le jazz band rêve de conquérir l’Europe, de faire entendre sa musique bien au-delà des frontières de l’Afrique. Ils ont mis leurs plus beaux atouts. Ils sont riches de leur culture, de leur histoire. Pour mieux comprendre l’importance que révèle à leurs yeux, cette première sur le sol européen, il est nécessaire de replonger dans plus de cent ans de colonialisme.
Un roi obsessionnel
Tout a commencé en 1878 au château de Laeken à Bruxelles. Léopold II (épatant Criss Niangouna), Roi des Belges, désespère. Il est le seul chef d’État européen à ne pas avoir de colonies. C’est tout bonnement impensable. Il en rêve depuis qu’il est tout petit, cela tourne à la monomanie. Il mange colonie, dort colonie, saoule du soir au matin sa femme qu’il hait depuis la mort de leur unique fils, la reine Marie-Henriette (détonante Alvie Bitemo). Dépensant sans compter son argent personnel, il finit par l’entremise de l’explorateur, un brin aventurier, Henry Morton Stanley (remarquable Fortuné Koumbha Kaf) par prendre possession du Congo, de ses habitants. C’est son « bijou de famille ». Il en est si fier.
Barbaries et exactions
Qu’importe les moyens, Léopold II veut son Congo, sa terre rien qu’à lui. Il n’y a pas de miracle, même s’il s’en défend, le souverain blanc, par l’intermédiaire de son homme de main, a recours à l’esclavagisme, à la brutalité, à la violence pour faire de ce pays, un joyau, une richesse qu’il pourra arborer comme un trophée. Tuant, violant, brûlant, tout est bon pour que la volonté du monarque soit satisfaite. Enfermé dans ses chimères, dans ses certitudes d’être supérieur, il n’a que peu conscience du drame qui se joue loin, là-bas, en Afrique centrale. Il n’en a cure. Ruinant le pays, mais s’enrichissant grandement au passage, il finit par abandonner la partie, céder son royaume à l’État Belge. Le cauchemar pour les congolais ne fait que commencer. Des années d’abus, de crimes barbares au nom de la couronne, vont être commis. L’indépendance n’y changera rien. Blessé dans son chair, dans son cœur, le Congo pense ses blessures, pour mieux renaître fort et fier.
Le burlesque pour ne pas pleurer
Partant de l’histoire d’un groupe de jazz congolais, l’auteur Mohamed Kacimi, à la demande d’Hassane Kassi Kouyaté, retrace l’histoire du colonialisme, cette lubie de l’homme blanc en mal de supériorité, de domination. Préférant l’humour à la tragédie, il croque avec mordant et dérision ces gouvernants européens souhaitant étendre leur pouvoir au-delà de leurs frontières. Il les égratigne, les rend risibles. Mais, et c’est là tout la force de ce texte, il n’omet pas leur crime, les met face à leur contradiction, à leurs méfaits, à leur folie. S’appuyant sur cette trame, entremêlant musique, cri de révolte et humour grinçant, le directeur des Francophonies signe un spectacle vibrant qui gêne aux entournures, force à réfléchir autrement. Il faut tout son talent de metteur en scène, pour que la farce tragique ne tourne pas à la caricature. Lumières ciselant le plateau, comédiens-chanteurs habités, il fait défiler devant nos yeux l’histoire d’un pays tranquille et bien heureux, que la main de l’homme blanc est venue ravager, abimer, détruire.
Ombres et lumières
Mal connu en Europe, souvent omis ou réduit à peau de chagrin dans les livres d’histoire, la tragédie congolaise s’expose crument aux Zébrures d’automne. Rappelant les atrocités commises au nom du colonialisme, Congo Jazz Band frappe terriblement juste, effroyablement fort. Point d’orgue de cette tragicomédie, où les larmes viennent remplacer imperceptiblement les rires, la lettre d’adieu de Patrice Lumumba (troublant Marcel Mankita), figure de l’indépendance congolaise, à sa femme, saisit par sa force politique, son esprit éclairé.
Encore en rodage ce soir de première, Congo Jazz Band est une pièce de mémoire, un spectacle nécessaire et essentiel pour ne pas répéter les erreurs du passé, pour construire un autre avenir plus humain, plus sensible.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Limoges
Congo Jazz Band de Mohamed Kacimi
Les Francophonies – Les Zébrures d’automne
Opera de Limoges
48 Rue Jean Jaurès
87000 Limoges
jusqu’au 26 septembre 2020
durée 2h00 environ
Mise en scène & scénographie d’Hassane Kassi Kouyaté assisté d’Astrid Mercier
Direction musicale de Dominique Larose
Avec Alvie Bitemo, Dominique Larose, Miss Nath, Abdon Fortuné Koumbha Kaf, Marcel Mankita, Criss Niangouna
Création numérique de David Gumbs
Création lumières de Cyril Mulon
Costumes d’Anuncia Blas
Crédit photos © Christophe Péan