En confiant à Valère Novarina la tâche de revisiter le mythe d’Orphée et d’Eurydice, Jean Bellorini souhaitait un voyage au pays des songes, des mots et des sombres merveilles. Encore en répétitions, Le jeu des ombres, dont la première était prévu dans la cour d’Honneur du Palais des Papes dans le cadre du Festival d’Avignon, semble dépasser toutes les espérances secrètes du nouveau directeur du TNP. Poétique épopée dans l’enfer des amours sacrifiées !
Au cœur du quartier des Gratte-ciel de Villeurbanne, aux faux airs de Manhattan, se niche dans une immense bâtisse blanche à l’architecture art déco, le TNP. Construit dans les années 1930 et remanié à plusieurs reprises depuis par ses directeurs successifs, le lieu, gardien d’une certaine idée du théâtre, qui se veut « élitaire pour tous », comme dirait Antoine Vitez, dégage une aura singulière. L’arrivée en janvier de Jean Bellorini s’inscrit dans cette belle continuité.
Jean Bellorini aux manettes
Après avoir admiré la façade, il est temps de pénétrer dans l’antre. Coronavirus obligé, c’est par l’entrée de service que l’on s’engouffre dans le bâtiment. La visite est rapide, dans quelques minutes, salle Roger Planchon, les répétitions du Jeu des ombres vont débuter. Sur scène, les comédiens en costume déambulent. Ils s’échauffent la voix, prennent possession des lieux, les apprivoisent. En chef d’orchestre, Jean Bellorini rassure les uns, encourage les autres, donne ses dernières recommandations, ses dernières notes.
Le chant de Verdi, les mots de Novarina
Chacun prend place dans un décor épuré rappelant quelques vieux greniers, quelques brocantes dédiées à la musique. La pièce plonge dans la pénombre. Un faisceau de lumière éclaire un petit groupe d’acteurs dont s’extrait Hélène Patarot. Regard déterminé, pas mesurés, elle s’avance vers les spectateurs. Madame Loyale du spectacle à venir, elle délivre avec délicatesse les tenants et aboutissants des amours du tendre Orphée et de la belle Eurydice. C’est le commencement d’un rêve ouaté où les chants opératiques de Monteverdi accompagnent les mots fantasques de Valère Novarina. Son écriture prolixe, extravagante et jubilatoire s’accorde à merveille avec les notes jouées en direct par trois musiciens.
Des images à couper le souffle
Les images défilent, les tableaux s’enchaînent. De partout jaillit une troublante beauté. L’émotion est là palpable dans chaque intonation, chaque apparition. La scénographie d’une beauté tragique autant qu’onirique, signée Jean Bellorini et Véronique Chazal, envoûte, hypnotise. Le tout porté par d’épatants artistes : l’éblouissante Karyll Elgrichi, l’ahurissant Jacques Hadjaje, le gracile François Deblock, l’habité Marc Plas, la détonante Anke Engelsman, l’épatant Mathieu Demonté, l’étonnante Clara Mayer, l’extraordinaire Liza Alegria Ndikita, le prodigieux Ulrich Verdoni et la lumineuse chanteuse Aliénor Feix.
Le rêve manqué d’Avignon
Encore à l’état d’ébauche, le spectacle saisit par son épure et son lyrisme. Comment ne pas pensait à ce qu’aurait pu donner une telle œuvre, si riche, si intense dans l’écrin de pierres de la cour des Papes. Profondément conquis par le travail de Jean Bellorrini, on ne peut qu’avoir hâte d’assister à la première en octobre prochain, lors de la semaine d’art du Festival d’Avignon.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Villeurbanne
Le Jeu des Ombres de Valère Novarina
Répétitions au TNP
Semaine d’art en Avignon – Festival d’Avignon
Diffusion le 25 juillet 2020 sur France 5 à 23h20
Durée 2h00 environ
mise en scène Jean Bellorini assisté de Mélodie-Amy Wallet
avec Liza Alegria Ndikita, François Deblock, Mathieu Delmonté, Karyll Elgrichi, Anke Engelsmann, Aliénor Feix, Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Hélène Patarot, Marc Plas, Ulrich Verdoni
euphonium Anthony Caillet
piano Clément Griffault
violoncelle Barbara Le Liepvre
percussions Benoit Prisset
collaboration artistique Thierry Thieû Niang
scénographie Jean Bellorini, Véronique Chazal
lumière Jean Bellorini, Luc Muscillo
vidéo Léo Rossi-Roth
costumes Macha Makeïeff
coiffure et maquillage Cécile Kretschmar
musique extraits de L’Orfeo de Claudio Monteverdi
direction musicale Sébastien Trouvé en collaboration avec Jérémie Poirier-Quinot
Crédit photos © Pascal Victor