Au cœur de la vieille ville d’Angers, dans un hôtel au charme désuet, place du ralliement, le chorégraphe Christophe Garcia invite un petit nombre de visiteurs à partager, le temps d’un songe, l’intimité sensuelle et charnelle de quelques clients du Niebo Hôtel. Un voyage intime et mémoriel sur la Carte du Tendre.
Il fait particulièrement chaud en cette fin juillet dans les rues de la capitale angevine. Le soleil réchauffe les peaux encore blanches de l’hiver, l’air brûle les poumons qui de ne demandent qu’à respirer en toute liberté, après le confinement. Sur la grande place aux faux haussmanniens, un hôtel attend quelques visiteurs de passage. A côté de la réception, un bureau spécial a été aménagé. Il est le point de départ de l’aventure, là où toutes les consignes, permettant de profiter au mieux de l’expérience qui nous est proposée, sont données à chacun des nouveaux arrivants, pas plus de cinq à la fois.
Abandon des repères
Muni d’un masque et d’une carte magnétique permettant d’ouvrir la première chambre qui attend de livrer ses secrets, les premiers spectateurs sont invités à pénétrer dans l’âme de l’hôtel. Dans les couloirs de l’établissement, se croisent des regards curieux. Certains sont des véritables clients, d’autres participent à l’aventure en tant qu’acteurs ou en tant que témoins privilégiés de la vie palpitante qui se cache derrière les murs de la bâtisse. La première porte franchie plus de retour en arrière, il faut lâcher prise et se laisser emporter par les musiques intemporelles signées Laurier Rajotte et Jakub Trzepizur.
Une lettre abandonnée
Une lettre à l’attention de chaque visiteur attend patiemment, posée sur une chaise, d’être dépliée et lue. Elle est inspirée d’une anecdote que Christophe Garcia, maître de cérémonie de cette troublante immersion, prend plaisir à raconter. Un soir de tournée, fatigué de sa journée, le chorégraphe explore la chambre où il réside pour l’occasion. Son regard est attiré par un bout de papier, une lettre laissée par l’ancienne locataire des lieux pour le suivant. Une certaine Magda, une polonaise, a tracé quelques lignes, quelques sensations ressenties. Elle y parle de ses voisins, un musicien, son frère, un couple, un jeune homme confronté à sa solitude, une femme enceinte et livre quelques indiscrétions.
Sensualité des corps contraints
S’inspirant de cette lettre, de son côté désuet, le chorégraphe angevin et ses interprètes imaginent la vie de huit individus dans un espace de jeu réparti en cinq lieux distincts. Femme dansant au rythme d’une litanie tzigane jouée en live par Jakub Trzepizur, éphèbe esseulé, troublé par les infos en polonais que diffuse la télévision, amants de passage se laissant enivrer par le contact de leurs peaux brûlantes ou futurs parents débordant d’amour et de tendresse, chaque tableau est ciselé au cordeau. L’espace exiguë des chambres oblige à quelques acrobaties. Les corps contraints des danseurs se débattent pour mieux appréhender les limites imposées et libérer toute la sensualité contenue dans leur chair palpitante.
Une aventure humaine
La chaleur aidant, la suavité des mouvements attrape le spectateur-voyeur. Fasciné autant que gêné, envoûté, chauffé à blanc, il rêve à d’autres ailleurs, se confronte à ses propres songes. En roue libre, il imagine ce que les lits d’occasion où il a pu dormir renferment de confidences. Au-delà des fantasmes que génère l’expérience, la grande force de Niebo Hôtel est d’offrir à chacun des visiteurs, un parcours unique. Personne ne voit vraiment la même chose. C’est une performance corona-compatible, qui s’inscrire en parallèle de la proposition du Quai l’été de Thomas Jolly et qui modifie en profondeur le rapport entre public et artiste, le huis-clos intime de la chambre offrant un champ des possibles émotionnels d’une rare intensité. Une œuvre unique à découvrir sans tarder, portée par huit artistes tout feu tout charme.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Niebo Hôtel
Une création « corona-compatible » de Christophe Garcia
Cie la parenthèse
Hôtel Saint-Julien
9, place du Ralliement, 49100 Angers
Jusqu’au jeudi 30 juillet 2020
Durée du parcours 50 minutes environ
Chorégraphie et mise en scène de Christophe Garcia en collaboration avec les interprètes
Musique de Laurier Rajotte et Jakub Trzepizur
Lumière de Marie Bucher et Simon Rutten
Régie générale, son de Bruno brevet
Costumes de Pascale Guéné
Avec Marion Baudinaud, Julie Compans, Charline Peugeot, Alexandre Tondolo, Nina-Morgane Madelaine, Idir Chatar, Lohan Jacquet, Jakub Trzepizur
Photos de © David Ropars et © Lucie Baudinaud