Depuis plus de cinq ans en réaction aux attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo, la performeuse Nadia Vadori-Gauthier publie sur la toile une minute de danse par jour. Le 5 juillet, à 11h11, Elle a fêté à Chaillot – Théâtre nationale de la danse, sa 2000e vidéo, avec plus de 1000 internautes. Une Grand-messe joyeuse et émouvante !
Dimanche matin, 9h30, la ville se réveille doucement. Armé d’un appareil photo et d’un carnet de note, il est temps de se diriger vers Chaillot – Théâtre national de la danse. La ligne 1 du métro parisien est quasiment déserte. Quelques travailleurs, des touristes, tous masqués, entrent et sortent à chaque station. Le trajet est calme, rapide. Arrivé devant le palais du Trocadéro, il n’y a guère plus de monde. Des vendeurs à la sauvette de souvenirs traînent en quête de voyageurs naïfs, des personnes hirsutes, esseulées cherchent leur chemin. Les grilles du palais sont entrouvertes, les portes fermées. Seule l’entrée du personnel est accessible.
Chaillot en toute liberté
Une fois dans l’immense bâtisse art déco et après avoir montré pattes blanches au gardien, il faut suivre un dédale de couloirs afin d’atteindre le grand escalier. Un sentiment de liberté se fait sentir. Personne à l’horizon, Chaillot semble être à soi. Pas la peine de batailler pour voir la Tour Eiffel, elle s’offre à nous sans partage. L’impression d’être seul au monde. Des bruits métalliques, des voix venant de la salle Jean Vilar, nous rappellent à la réalité. Un événement se prépare, la 2000e minute de danse de Nadia Vadori-Gauthier.
Un sacré plateau technique
Sur scène, un petit groupe de personnes s’agite devant des ordinateurs, vérifie les derniers réglages vidéos et internet. Plus de 1200 personnes se sont inscrites pour participer à ce moment unique. La fébrilité de la performeuse est palpable derrière son sourire affable. Rayonnante, elle sait que l’instant, qu’elle va vivre en communion avec la communauté de danseurs et de spectateurs qui l’observe quotidiennement, va être intense. Elle s’échauffe, s’habille d’une robe légère, enfile des chaussettes rose fluo porte-bonheur. Elle donne ses dernières recommandations, encourage son armée de techniciens prête à enregistrer l’ensemble du flux vidéo.
Poésie du mouvement
Un voile flou sur les yeux, comme si tous les souvenirs de ces six dernières années lui revenaient en mémoire. Il fait froid ce 14 janvier 2015, quand Nadia Vadori-Gauthier sort dans la rue. Paris est triste, en deuil. Elle cherche à conjurer le mauvais sort. En réponse à la barbarie, elle décide de danser, une petite minute, comme ça pour le plaisir, pour ne pas oublier, pour dire combien le monde est beau, que les terroristes ne vaincront pas, n’anéantiront pas ce qu’elle est, son mode de vie, sa sensibilité. Depuis ce jour, elle n’a jamais manqué un rendez-vous. Qu’elle soit seule, avec des amis, chez elle, ou en extérieur, elle poste sur le web sa minute de danse par jour.
Un engouement grandissant
Très vite, l’initiative séduit les internautes, qui, à chaque épisode, sont de plus en plus nombreux à suivre les performances de Nadia Vadori-Gauthier, à l’imiter même, à nourrir le projet de leurs propres vidéos.S’affranchissant de toutes règles, de tous codes, elle improvise quelques mouvements, se laisse porter par son humeur, par les notes de musique savamment choisies. L’acte est poétique. Elle ne cherche pas à enjoliver les choses. Le protocole est immuable, une caméra en plan fixe et pas de montage.
Une 2000e minute
L’heure approche. Nadia Vadori-Gauthier est prête à embraser l’immense salle Jean Vilar, à lui rendre vie le temps de quelques mesures. Elle se concentre une dernière fois, esquisse un sourire et se lance. Elle lâche prise, s’abandonne à la musique, se libère de toute tension et se livre au regard des internautes. La minute passe à toute vitesse. A peine, grisé par l’intensité de la performance le silence s’impose à nouveau, la torpeur gagne le lieu.
Pour un nouveau moment de grâce, il faudra donc attendre 24 heures. Nadia Vadori-Gauthier l’assure, elle n’est pas encore prête à arrêter. L’épopée continuera encore. Toutefois, elle aimerait bien passer le flambeau, permettre à d’autres de s’emparer du projet, de le faire grandir, évoluer peut-être, perdurer à coup sûr. Pour ne pas sombrer, elle l’a éprouvé pendant le confinement, le monde a besoin d’art, de culture et de pratique, elle en est convaincue. Alors dansez maintenant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
2 000e minute de danse le dimanche 5 juillet à 11 h 11.
Crédit photos © OFGDA