Bien qu’annoncé comme annulé en avril, suite à la pandémie de la covid-19, le Festival interdisciplinaire Paris l’été aura finalement lieu cette année au Lycée Jacques-Decour, dans le IXe arrondissement, dans une version entièrement gratuite et resserrée sur cinq jours. Pour son ouverture, la manifestation donne carte blanche au premier danseur du Ballet de l’Opéra de Paris, François Alu. Une bien belle et explosive affiche pour un événement particulier !
Comment la danse est-elle entrée dans votre vie ?
François Alu : Par le biais d’une vidéo que ma grand-mère m’a montré quand j’étais petit. Déjà sensibiliser à l’art chorégraphique par ma mère professeure de danse, qui exerce toujours d’ailleurs, j’ai été littéralement fasciné par Patrick Dupont, le talent insolent, un portrait documentaire du danseur étoile, réalisé par Luc Riolon en 1996. Il y avait dans sa manière de se mouvoir quelque chose qui m’a tout de suite passionné, d’autant que cela aller bien au-delà de la danse classique. Un style auquel je m’étais essayé sans vraiment y trouver mon compte. Clairement, à l’époque, je n’ai pas du tout accroché. C’est par le jazz que j’ai commencé à faire de la danse. Autant dire que ma mère était ravie de mon nouvel intérêt pour cette discipline.
Depuis plusieurs années, vous créez en dehors de l’Opéra de Paris. Est-ce important pour vous de sortir du répertoire, d’aller vers d’autres horizons et d’avoir finalement plus d’espaces de liberté ?
François Alu : C’est clairement très important d’avoir la possibilité de faire des projets externes. En ce qui me concerne, cela nourrit énormément toutes mes performances en interne à l’Opéra. Mais la réciproque est aussi vraie. Je ne serais pas qui je suis et je ne pourrais pas faire ce que je fais, si je n’avais pas appris la rigueur, la discipline et cette quête de perfection, qui sont les piliers essentiels du Ballet. J’essaie bien évidemment d’insuffler tout cela dans mes créations. Les deux univers sont complémentaires, chacun permet d’alimenter l’autre. Le fait d’apprendre à être plus indépendant et plus inventif en externe est, à mon sens, fondamental au bon déroulement d’un carrière de danseur de troupe.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de franchir le pas d’interprète à chorégraphe ?
François Alu : A la base, j’ai eu la chance en 2015 de coproduire mon tout premier spectacle à Bourges grâce à 3eétage, groupe indépendant de talents singuliers du Ballet de l’Opéra de Paris, initié en 2004 par Samuel Murez. C’était une toute nouvelle expérience née de mon envie de montrer mon travail dans ma ville natale et de délocaliser la danse hors Paris. J’ai donc élaboré un programme pour cette occasion des pièces du répertoire bien sûr, mais aussi je souhaitais aussi faire découvrir comment je voyais la danse. C’est comme cela que j’ai créé Sylphide, un pas de deux avec Léonore Baulac, devenue depuis danseuse étoile du ballet de l’Opéra de Paris. Ce duo sera d’ailleurs visible lors de la soirée d’ouverture de Paris l’été. De cette expérience, que j’ai menée de manière plutôt empirique, est né mon goût pour la chorégraphie. Par ailleurs, le processus de création m’a énormément apporté dans mes relations avec les chorégraphes. Le fait de passer de l’autre côté permet de comprendre beaucoup mieux ce que l’on souhaite d’un interprète.
J’avoue que la place de chorégraphe me plait beaucoup. En fait, avoir la main sur l’expérience total du spectateur me fascine. On peut explorer différents aspects, comme ce que l’on veut montrer, ce que l’on veut raconter grâce aux costumes, à la musique utilisée. L’histoire est pour moi très importante. Elle est nécessaire pour comprendre le geste. Fort de cette première création, j’ai eu très envie de réitérer l’expérience. Ce sont des moments très particuliers où je suis dans un état de bonheur et de concentration ultime.
Êtes-vous l’interprète de toutes vos créations ?
François Alu : Dans l’idéal quand je chorégraphie je n’aime pas être interprète. Je crois tout simplement que pour bien faire les choses il faut avoir un œil extérieur à ce qui se passe sur le plateau. Il faut savoir se retirer de la pièce. Quand on se met en scène soit même, il faut savoir avoir du recul. Du coup, j’utilise une caméra pour me filmer et ensuite faire mes notes, comme si c’était un autre qui dansait. Être dedans et n’être que dans la sensation, c’est que j’ai fait au début, notamment pour Sylphide avant de la retoucher. Il y a quelque chose qui fonctionne moins bien à mon sens. La partie créative de notre cerveau rentre comme en compétition avec la partie structurante sans que jamais un équilibre se crée. Quand on est artiste, on est vraiment dans la compréhension de ce que veut le chorégraphe, de chercher les nuances, le rythmes, etc. Quand on est aux manettes, il faut oublier tout ce qui est reproduction et sensation, pour travailler la structure, la colonne vertébrale du spectacle.
Vous faites l’ouverture de Paris l’été, comment ce projet vous a-t-il été proposé ?
François Alu : Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, les co-directeurs du Monfort théâtre et du festival Paris l’été cherchaient de leur côté un danseur qui pourrait coordonner la soirée d’ouverture. Luna Peigné, une de mes interprètes, qui les connaissait, m’a chaudement recommandé. On s’est rencontré et ils m’ont proposé assez rapidement cette carte blanche. J’ai donc réfléchi à un programme qui allierait différentes formes chorégraphiques. Le premier extrait, La mort du cygne, interprété par Luna, est à la fois très classique sur la forme tutu et pointe mais nous avons fait un travail sur l’interprétation et sur la gestuelle afin de le rendre presque contemporain avec beaucoup plus de courbes et de phrasé. C’était important pour moi, car c’est la base de la danse, c’est par là que tout à commencer. La version que je propose est très poétique, très éthérée. Elle permet d’entrer en douceur dans l’univers des ballets. C’est donc une belle invitation aux rêves. Je pense qu’en ce moment, c’est plus que nécessaire. Dans un deuxième temps, je présente Sylphide, dont j’ai déjà parlé. C’est une pièce clairement plus contemporaine, dont le sujet est l’histoire d’un homme en quête d’un fantasme, d’un idéal féminin, d’un impossible jamais atteignable mais qui permet de se surpasser. Je reprends mon rôle, mais comme c’est autre danseuse qui sera ma partenaire, j’ai tout retravaillé. C’est donc une version remaniée que je monte. Ensuite, je présente une création. C’était important qu’il y ait quelque chose de nouveau à montrer. J’avais envie de prendre des risques et d’aller vers des terres inconnues. Je me suis donc associé avec Nicolas Sannier, danseur de hip-hop et circassien, et Elena Ramos, contorsionniste. L’œuvre, intitulée Chers Parents, explore différents aspects de la vie que ce soit celle de nos parents mais aussi celle de nos anciens, de nos maîtres à penser. Durant cette période étrange de pandémie où j’ai eu la chance d’être confiné avec mes parents, que je vois rarement en général dans l’année, j’ai pris conscience du besoin de l’autre, de ceux qui nous sont chers et bien sûr de ceux qui nous ont élevé et fait grandir. Je me suis donc inspiré de cela pour écrire ce spectacle : Un père qui s’en va, un enfant qui rêve de son envol et une mère protectrice confrontée à cet éloignement nécessaire. Je me suis inspiré de mes proches, mais ce n’est absolument pas autobiographique, bien au contraire. Enfin, la soirée sera clôturée par un solo que j’ai déjà dansé à plusieurs reprises, Les bourgeois d’après la musique de Jacques Brel. C’est un morceau que j’aime beaucoup car il mêle différentes sensations, comme la joie, l’humour. J’aime beaucoup cette pièce courte. Elle mêle théâtralité et virtuosité technique. Je trouvais important de finir sur une note positive avec de l’auto-dérision et de l’humour.
Est-ce que, à terme, vous vous destinez à une autre carrière ?
François Alu : C’est trop tôt pour le dire. Ce virus nous a appris que tout pouvait basculer du jour au lendemain. Prédire, je ne sais pas. Pour l’instant je m’épanouis quand je danse des grands rôles et que j’ai la liberté de pouvoir interpréter comme je le sens. L’opéra Garnier est un des plus beaux palais au monde et j’adore m’y produire. Je ne vais donc pas me plaindre de là ou je suis actuellement. Mais j’aime bien cette possibilité qui m’est offerte de pouvoir, à côté, faire mes propres créations. C’est bien sûr important de pouvoir se réaliser, chorégraphier en fait partie.
J’ai la chance de pouvoir faire ce qui me plait et de pouvoir collaborer notamment avec le photographe Julien Benhamou et le désigner de la marque de chaussures Timothée Paris. J’admire leur travail leur audace, leur talent. Ce sont deux personnes qui ont un savoir-faire extraordinaire. Le chaussier travaillait chez Berlutti avant et a décidé de monter sa propre marque. Je trouve cela très courageux. Tout est made in France. Avec Timothée et Julien, il y a une vraie connivence, une belle confiance. Notre relation professionnelle s’est transformée petit à petit en amitié. Ce qui nous permet de travailler ensemble avec des valeurs communes de morale, d’intégrité et d’exigence, mais aussi de s’amuser. Cela a du sens car tout cela me permet de m’exprimer sans contrainte, d’être totalement ce que je suis.
Entretien réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Histoires dansées – soirée d’ouverture du festival Paris l’été
Carte Blanche à François Alu
Le 29 juillet 2020 à 20h00
Lycée Jacques-Decour en extérieur
12, avenue Trudaine
75009 Paris
Gratuit sur réservation
Avec François Alu, Luna Peigné, Elena Ramos, Nicolas Sannier
Crédit Photos © Julien Benhamou – avec son aimable autorisation