Visage d’ange, silhouette gracile, Pauline Clément est animée d’un feu intérieur, d’une belle aura qui a séduit les membres de l’Académie des Molières. Hilarante dans La puce à l’oreille de Feydeau, mise en scène par Lilo Baur, elle est nommée en tant que révélation féminine. Son charme lumineux fait mouche. Son second degré, son humeur pince sans rire révèlent sa nature joyeuse bien que diaphane. Une sacrée comédienne à suivre !
Une lumière tombant des cintres illumine sa chevelure blonde, sa peau pale. Le regard triste, dans le vide, les yeux au bord des larmes, elle semble rêver à un ailleurs où tout est possible. Le moment est unique. Il est gravé dans ma mémoire. Pauline Clément ne fait rien, elle ne bouge pas, pourtant elle exprime, avec peu, toutes les émotions du monde, de la tragédie intérieure qui ronge son personnage à la douce félicité d’être là, place Colette, sur les planches du Français, de faire partie d’une troupe.
Un sourire étincelant
Nous sommes en février 2017, Christiane Jatahy vient de monter La Règle du jeu d’après le scénario de Jean Renoir. La jeune comédienne y incarne les jeunes filles amoureuses, mais éconduites avec une telle fragilité, une telle intensité, qu’elle irradie la scène et offre à ce spectacle en demi-teinte, un instant de grâce. Ce n’est pas la première fois que le jeu évaporé et cristallin de l’artiste touche au sensible. Déjà, un an plutôt, dans La Ronde d’après Arthur Schnitzler, mise en scène par Anne Kessler, ellejouait avec une justesse troublante, enfantine, la prostituée quelque peu désabusée mais pas si malheureuse de son sort.
L’improvisation, un coup de foudre
Rien ne prédestinait la jeune fille à monter sur les planches. « Au lycée, confie-t-elle, je cherchais une activité extra-scolaire. J’hésitais entre danse orientale, qui avait ma préférence, et théâtre. Au final, pour des raisons de commodités et de proximité, l’art dramatique s’est imposé. Tous les vendredis soirs, je suivais les cours pour amateurs d’Irène de Crozefon. » Étonnement, ce n’est pas tant le jeu qui l’intéresse mais bien les séances d’improvisation. « J’aimais tellement ce moment de lâcher prise, explique-t-elle, que j’en étais obsédée. Toute la semaine, je ne pensais qu’à la prochaine impro que je ferais, ce que je pourrai dire, comment je pourrai aborder tel ou tel sujet. Étant un échec scolaire, après une tentative infructueuse dans le domaine de l’ébénisterie et de la mécanique, puis dans celui de l’esthétisme, qui ne m’enthousiasmait pas plus, je me suis rendue à l’évidence que, par le jeu, j’avais trouvé une manière de m’exprimer qui me correspondait. » S’éloignant du cursus éducatif traditionnel, qui ne lui convient guère, Pauline Clément se sent libre épanouie. La jeune femme a trouvé sa voie, son destin.
Les écoles
Dans la foulée, elle s’inscrit au cours Florent, y reste trois ans. Ensuite, elle continue sa formation au conservatoire du VIIIe arrondissement, avant d’intégrer l’Ecole du Studio d’Asnières puis, après en avoir réussi le concours d’entrée, le prestigieux Conservatoire national supérieur d’Art dramatique. « J’ai fait pas mal d’écoles, Avoue-t-elle amusée. C’était passionnant d’autant que j’ai rencontré par ce biais de nombreuses personnes, qui sont toujours présentes à mes côtés aujourd’hui. » Se confrontant au texte du répertoire avec beaucoup de malice, la comédienne n’en oublie pas pour autant ses premières amours pour l’improvisation. « Je me suis servie de cette expérience justement, raconte-t-elle, pour travailler mon jeu. Dans les improvisations, on se livre, on puise dans notre vécu, dans nos émotions. C’est pareil quand on travaille un texte, un personnage. Afin de lui donner vie, on peut ajouter un peu de ce que l’on est. » Loin d’être solitaire, Pauline Clément aime l’ambiance de groupe, de troupe. « La grande force du théâtre à mon sens, souligne-t-elle, c’est le côté collectif. Pour moi, c’est en tout cas primordial. Avec les gens de promos, des amis comédiens, on s’est vite amusé à monter des projets, des formes courtes, à passer ensemble des auditions. »
L’appel de la Comédie-Française
En 2015, un an après être sortie du conservatoire, Pauline Clément entre au Français. « Un metteur en scène, qui m’avait vu au conservatoire, raconte-t-elle, a proposé mon nom pour des auditions. La troupe cherchait une jeune femme pour la distribution de sa prochaine création. J’ai joué une scène de Tchekhov, puis passé un entretien. Je n’ai pas été prise. C’est six mois plus tard, que j’étais rappelée pour un tout autre projet, Les derniers jours de l’humanité de Karl Kraus, mis en scène par David Lescot au Théâtre du Vieux Colombier. » Se glissant notamment dans la peau d’un soldat, la jeune comédienne emprunte des terrains de jeux différents de ceux auxquels elle est habituée. « Loin des impros qui ont ma prédilection, explique-t-elle, j’ai apprécié donner vie à ce texte. Même le long monologue de la fin, qui me faisait un peu peur lors des répétitions, j’ai appris à l’apprivoiser, à l’aimer. C’était une très belle première expérience. C’était chouette de commencer par cela. »
Le choix de l’humain
Bien qu’elle ait des goûts affirmés, notamment pour la comédie et des préférences pour certains auteurs contemporains, Pauline Clément se laisse porter au gré des projets, des metteurs en scène. « L’important, confie-t-elle, c’est la manière dont on aborde un texte, comment on le travaille et avec qui, comment on lui donne un couleur. Si j’aime les choses humoristiques, je suis aussi séduite par des œuvres plus mélancoliques. Par exemple, j’aime énormément Tchekhov, sa manière de croquer la société surannée dans laquelle il évolue. Je crois que tout simplement, je préfère tout ce qui est concret, qui s’ancre dans une réalité. » Guidée par son instinct, la comédienne marche aux rencontres. Quelle que soit la pièce dans laquelle, elle est distribuée, la jeune femme est incapable de dire si elle est contente ou non. Il lui faut appréhender l’autre, la troupe, le plateau. « Il m’est déjà arrivé de n’être que moyennement convaincu par un rôle, raconte-t-elle avec malice. C’est une fois que j’ai rencontré le metteur en scène, découvert les décors et les costumes, que le déclic a eu lieu, que j’ai dépassé ma première appréhension et que je me suis amusée. »
Les rencontres
Avec plus d’une dizaine de spectacles à son actif en tant que pensionnaire du Français, Pauline Clément a su s’imposer comme l’une des étoiles montantes de la troupe de la place Colette. Passant de Feydeau à Molière, de Wedekind au Brigit Ensemble – des amies du conservatoire -, elle navigue d’un genre à l’autre avec une aisance confondante. « C’est merveilleux de pouvoir aborder autant de styles, d’époques et de manières de travailler différentes, explique-t-elle. Travailler avec Clément Hervieu-Léger, notamment, c’est captivant. J’aime énormément sa manière de diriger les acteurs, avec douceur et exigence. Sa grande force, c’est de donner de l’importance à tous les personnages. Avec Julie Bertin et Jade Herbulot du Birgit Ensemble, on se connait depuis longtemps. C’était génial de pouvoir les retrouver ici au Français. Avec elles, on fait beaucoup sur l’impro. Les thèmes sont souvent politiques, il faut donc creuser, se documenter, se glisser dans la peau de personnalités connues. »
Des rôles
Adolescente amoureuse, fille de bonne famille cachée à la naissance, prostituée ou épouse d’un mari jaloux, la jeune comédienne s’amuse avec beaucoup de dextérité, d’ingénieuse naïveté, à passer d’un rôle à l’autre, son rêve secret jouer dans Solness le constructeur d’Ibsen. « Malheureusement, dit-elle avec une candide ironie, un humour pince sans rire, je pense être trop vieille pour le rôle. Je lâche un peu l’affaire. D’autres personnages m’attendent. On verra bien »
Un Feydeau pour une nomination aux Molières
Dans La Puce à l’Oreille, mis en scène par Lilo Baur, Pauline Clément incarne Lucienne Homénidès de Histangua, meilleure amie de Raymonde Chantebise, bourgeoise en proie au doute quant à la fidélité de son mari. Sa voix légèrement suraigüe, sa silhouette gracile, donne à son rôle une belle légèreté, proprement désopilante. « Au début, avoue-t-elle, je n’étais pas rassurée. Avec Anna Cervinka, on expose les faits comiques et barrés dans une longue scène d’ouverture. Bien que je fusse contente de jouer dans ce Feydeau, j’avais des appréhensions. La présence de Lilo (Baur), sa manière d’aborder la pièce, de diriger en douceur les comédiens m’a mise à l’aise. C’est une personne avec qui on est tout de suite en confiance. Elle n’est jamais dans le jugement. Ça donne un bel espace de liberté. Je ne pensais pas m’amuser autant. » Sa prestation est remarquée par la profession et lui vaut d’être nominée par l’Académie des Molières.
Un étrange confinement
A quelques jours de la première de 7 minutes de Stefano Massini, mis en scène par Maëlle Poésy au Théâtre du Vieux Colombier, tout s’arrête. Le stress est à son comble. Après plus d’un mois et demi de répétition, le spectacle est reporté sine die. « C’était très complexe à vivre, explique Pauline Clément. On avait beaucoup travaillé. Tout était très intense. Tout est tombé d’un coup. J’ai eu l’impression de faire un abandon, d’avoir fait un truc mal. Cette sensation est très étrange. » Tout n’est pas perdu. Normalement, la pièce devrait voir le jour l’année prochaine. Mais actuellement, tous les projets étant repoussés, aucune date n’est annoncée.
En attendant les Molières, mardi soir prochain, et de la retrouver, la saison à venir dans Le Bourgeois Gentilhomme de Molière, mis en scène par Valérie Lesort et Christian Hecq, Pauline Clément profite de ce temps de pause pour revenir encore et toujours sur son métier. « Avec le confinement, dit-elle, j’ai l’impression d’avoir pris conscience de la chance que j’ai, de l’importance de profiter de chaque moment passer sur scène. » Face à la fraîcheur de son regard, difficile de rester insensible. La jeune comédienne fait son nid et ravit un auditoire déjà acquis. La rentrée théâtrale devrait être pour elle, l’occasion de confirmer cet avenir qu’on lui souhaite radieux.
Entretien réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Stéphane Lavoué, © Brigitte Enguérand et © Christophe Raynaud de Lage. Toutes les photos viennent de la Coll. Comédie-Française