Marraine et mécène du Studio Hébertot depuis deux ans, Bérengère Dautun s’investit dans ce lieu atypique et généreux de Paris et devient quelques mois avant, cette crise sanitaire sans précédent, sa directrice générale. Fougueuse, passionnée, cette ancienne sociétaire du Français donne le ton et a accepté de nous parler de son engagement.
Comment le Studio Hébertot est-il devenu un peu votre maison ?
Bérengère Dautun : Avec le Studio Hébertot, c’est une longue histoire qui a démarré avec Xavier Jaillard, à l’époque où le lieu s’appelait encore le Petit Hébertot. C’était en 2011 pour J’accuse, une pièce que j’avais cosignée avec Xavier et où je jouais le rôle de la femme de Zola. Puis, le lieu est sorti de ma vie jusqu’au moment où j’ai été appelée à y jouer, en 2016, ma pièce, Je l’appelais Monsieur Cocteau. Le théâtre avait une nouvelle direction et un nouveau nom, Le Studio Hébertot. J’y suis revenue avec joie et j’ai rencontré Sylvia Roux qui en était là directrice. Il y a eu quelques problèmes intérieurs et j’ai pris fait et cause pour elle et on est devenue amie. Notre premier dîner a été extraordinaire. Au restaurant, Sylvia, assise la tête penchée, j’ai été stupéfaite par sa ressemblance avec Lou Von Salomé. Du coup, j’ai écrit pour elle Cantate pour Lou Von Salomé. C’est ainsi qu’a commencé une longue collaboration artistique, puisqu’après nous avons joué ensemble Compartiments fumeuses de Joëlle Fossier, puis Le choix de Gabrielle de Danielle Mathieu-Bouillon. En scène, il y a vraiment quelque chose qui se passe entre nous. Notre union artistique est venue de là.
Comment vous êtes-vous retrouvée à la direction du théâtre ?
Bérengère Dautun : L’année dernière, le directeur du théâtre Hébertot a décidé une forte augmentation du loyer du Studio. Sylvia n’aurait pas pu garder le Studio si je ne la rejoignais pas financièrement. Je suis donc de ce fait devenue associée et directrice générale, la partie artistique restant à Sylvia, car c’est elle qui a imaginé ce lieu. Maintenant on codirige toutes les deux avec l’aide précieuse de Stéphanie Gamarra et les idées multiples de Sandra Vollant. Grâce aux quatre drôles de dames, car c’est ainsi que l’on nous appelle, le Studio fonctionne bien.
La programmation du Studio possède une couleur, un ton, quelle en est la substance ?
Bérengère Dautun : Les destinées particulières et tout ce qui peut faire bouger la société. Qu’est-ce qu’on peut apporter aux gens ? Qu’est-ce qui peut les faire bouger où leur apprendre quelque chose ? Qu’est-ce qui peut leur permettre de poser un regard différent sur le monde qui nous entoure. C’est dans cette optique que Sylvia avait accueilli Les Funambules, ce collectif d’artistes, mené par Stéphane Corbin, qui lutte contre l’homophobie à travers la création de chanson originale. Je me souviens d’une de nos spectatrices habituelles qui en sortant du spectacle nous a avoués que son regard sur l’homosexualité avait totalement changé. C’est ça qui est important ! J’aime lorsque l’on nous dit : « Je n’avais pas vu cela comme ça ! » Voilà notre orientation.
Vous mélangez les genres, théâtre, musical, danse ?
Bérengère Dautun : Bien sûr. Il y a eu Los Gardiolas, la perfection du tango ! Ils arrivent à danser sur une surface pas plus grande qu’un mouchoir de poche ! On a eu aussi Contrebrassens. En danse, on a eu Être ou paraître, le spectacle de Julien Derouault et Marie-Claude Pietragalla. C’était fantastique. On a aussi des seules en scène, comme le PSY Cause 3 de Josiane Pinson. Du jeune public, dont le très beau Léonard de Vinci, l’enfance d’un génie, spectacle coécrit par Sylvia Roux et Brigitte Kernel, mis en scène par Stéphane Cottin et interprété par le divin, Gregory Gerreboo. Et puis on a eu aussi La dame Céleste et le diable délicat de Claude-Alain Planchon, que je jouais avec Alexis Neret. Dans le genre des destins particuliers, c’était un pavé dans la mare. Il fallait oser proposer cette histoire d’amour entre un jeune homme et une dame de quarante ans de plus dans les années 1980. Aujourd’hui c’est intégré. Ça aussi, c’est un regard sur la société, comment elle est, comment elle peut-être, comment les gens l’affrontent. Je suis passionnée par cela. Je ne me serais pas associée à Sylvia s’il n’y avait eu ce regard sur le théâtre.
C’est un recommencement où une continuité dans votre carrière ?
Bérengère Dautun : Le Studio est une poursuite de ce que j’ai dans ma tête depuis toujours. Vous savez même pendant mes trente-trois ans de Comédie-Française ma priorité a toujours été la recherche. Je n’y ai pas joué que du classique ! J’ai aussi créé des contemporains, comme du Beckett. On a pris des risques, comme ce fut le cas avec la pièce de Grumberg, Rixe ! Cela grinçait des dents dans le public. Et j’aime ça ! A chaque fois je me demande ce que l’on peut inventer d’autre ! J’ai ce goût-là. C’est Pierre Dux qui, Dieu sait qu’il n’aimait pas ça, disait : « Il faut aller de l’avant, il faut chercher ! » Donc mon idée est que ce qui existe aujourd’hui, c’est bien, mais je me demande toujours ce qu’on peut trouver pour demain ! Diriger un théâtre, c’est une joie ! Ce que j’aime, c’est l’union, le travail d’équipe, l’esprit de la troupe. J’ai cette envie de partage, d’union, de faire les choses ensemble et que tout le monde, artistes et spectateurs, y trouvent son compte. Le pire du confinement fut que chacun a été privé de son essentiel. N’ayant plus mon époux Christian Cabrol, je me suis retrouvée seule, sans partage affectif soit, mais surtout retrouvée d’un coup privé de mon essentiel qu’est le théâtre !
Le confinement qu’est-ce que cela a impliqué pour le Studio Hébertot ?
Bérengère Dautun : Le Studio étant un théâtre privé, il ne bénéficie d’aucune subvention de la part de l’État. Tout le monde a pu être mis chômage partiel. Pendant le confinement, nous avons réfléchi à ce que nous pouvions faire. Heureusement que nous avions engagé Jean Sentis de Caspevi digital, car nous avions besoin de nous positionner numériquement.
La première action a été de réaliser des petites vidéos, où Sylvia, Stéphanie, Sandra et moi-même évoquions le souvenir de ce qui avait déclenché notre envie de faire où d’être dans le théâtre.
Ensuite, nous avons réalisé un clip sur la chanson Cupidon s’en fout de Brassens qui a été visionné de multiples fois.
Nous attendons avec impatience l’intervention dimanche soir du Président de la République afin de savoir à quelle sauce vont être mangés les théâtres car la distanciation dans leur salle est impossible. Il n’y en a qu’une de possible, c’est la brechtienne ! (Rire).
La rentrée est prévue pour ?
Bérengère Dautun : Nous pensons ouvrir autour du 18 septembre par un petit festival de trois jours, que Sandra Vollant est en train d’organiser. La vraie ouverture se fera avec la reprise de Contrebrassens et de Léonard de Vinci, naissance d’un génie. Le seul en scène de Laurent Madiot, Le destin moyen d’un mec fabuleux, le spectacle de Trinidad Pour que tu m’aimes encore et un Lagarce, Le luxe et l’impuissance avec Jean-Charles Mouveaux. Et on a la grande fierté et joie d’accueillir en décembre Joël Pommerat avec Pôles. Il a demandé à venir chez nous ! Et on va avoir aussi, un spectacle dont je suis aussi assez fière, Qu’est-ce que le temps ? d’après le texte de Saint-Augustin, mis en scène par Denis Guénon et interprété par Stanislas Roquette. Et il y aura aussi Je ne vous aime pas de Pierre Notte que l’on avait repéré avec Stéphanie aux Déchargeurs. Et puis plein d’autres choses, assez variés. Et on aura aussi Alfredo Arias avec Les bijoux dans le noir ! Ce n’est déjà pas mal tout ça ! On est toujours sur les destins.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Crédit photos © DR, © Anthony Klein, © Béatrice Landre et © Cyrille Valroff