Adieu l’artiste… Michel Piccoli était l’un de nos derniers monstres sacrés qui, tout au long de sa carrière, n’a eu de cesse de nous surprendre, émouvoir, séduire. Il vient de quitter le devant de la scène, merci pour tout.
Michel Piccoli, c’est avant tout un air de Sautet, Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs, Vincent, François, Paul et les autres… C’est avant tout une voix grave et mélodieuse. C’est un physique loin du jeune premier, mais qui en a imposé. C’est une présence. Quoiqu’il choisisse d’incarner au cinéma, il nous étonne par ce charisme particulier, que ce soit dans la Grande Bouffe ou La Belle Noiseuse. Jamais là où nous l’attendions, parfois ironique, cruel, mais toujours juste et droit dans ses bottes d’acteur. Sa carrière cinématographique est riche voire pléthorique.
un Dom Juan envoûtant
Côté théâtre, sa carrière débutée dans les années 1940, juste après la Seconde Guerre mondiale, est toute aussi florissante, je me souviens surtout du Dom Juan de Molière, réalisé en 1965 par Marcel Bluwal pour une télévision qui se voulait fenêtre culturelle. Le film passait souvent sur notre petit écran, et lors d’une rediffusion, j’ai dix ans et je découvre le tandem Piccoli – Brasseur, l’un Dom Juan, l’autre Sganarelle. Je me souviens de la silhouette et de la voix de Piccoli, qui m’avait comme ensorcelée. Toujours grâce à la télévision, comme on l’aimait à cette époque, il y avait eu La cerisaie de Tchekhov, mis en scène par Peter Brook. Là encore, le comédien m’avait régalée de son talent.
Un comédien à la présence extraordinaire
Auréolé du prix du syndicat de la critique dramatique en 1984 pour sa prestation extraordinaire dans Terre étrangère d’Arthur Schnitzler, mis en scène par Luc Bondy à Nanterre-Les Amandiers, Michel Piccoli en a joué des pièces, toujours rigoureux dans ses choix. La première fois, où j’ai eu la chance de l’applaudir c’est en 1997 dans La Maladie de la mort de Margueritte Duras, mise en scène par Bob Wilson avec Lucinda Childs à Bobigny. Dans un décor épuré, il envahissait l’immense plateau de la MC93 de sa présence et de son charisme. Le spectacle était ardu, mais de le voir lui en chair et en os suffisait à mon plaisir. Puis il y eut en 2006 Le Roi Lear, dans la mise en scène d’André Engel aux Ateliers Berthier. Il reste pour moi le plus grand Lear que j’ai eu à applaudir. Sa force matinée de fragilité donnait à ce personnage de monarque devenu fou quelque chose d’immense qui me laissa sans voix à la fin de la représentation. Puis, il y eue Minutti de Thomas Bernhard, qui résonnait comme un chant du cygne et qui bouleversait. Piccoli dévorait la scène, inscrivant sa puissance de jeu.
Un monstre incandescent
Je me souviens d’un dimanche matin où il était là sur le quai du métro, à Opéra, la ligne 7, seul, assis sur un des bancs. Chacun le regardait, tout ému de le voir mais il en imposait tant que personne n’a osé le déranger. Il semblait à la fois comme nous, un être parmi les hommes, et ses engagements politiques l’on prouvé, et une étoile intouchable, celle des grands comédiens. Au revoir Monsieur et merci pour tout.
Marie-Céline Nivière
Crédit photos © Sophie Dulac Distribution, © DR et © Pierre Grise Productions